Thomas Chatterton Williams, ou comment renoncer à l’idée de race
Dans un essai subtil et percutant intitulé « Autoportrait en noir et blanc. Désapprendre l’idée de race », l’essayiste américain s’en prend à une notion mortifère dépourvue de fondement.
Il y a quelques années, l’écrivain-critique américain Thomas Chatterton Williams (The New York Times Magazine) se serait défini comme un auteur noir, fils d’un homme noir et d’une femme blanche, marié à une Française blanche, père d’une petite fille noire et d’un petit garçon noir.
Ces qualificatifs, il les aurait appliqués selon la règle qui implique, aux États-Unis, qu’une goutte de sang noir vous range de facto dans une catégorie raciale bien précise, les Africains-Américains. Si bien que vous pouvez être considéré comme noir tout en ayant l’apparence d’un blanc. On s’en souvient, avec La Tache, l’écrivain Philip Roth a écrit autour de cette idée un roman sublime.
Aujourd’hui, en toute occasion, Thomas Chatterton Williams évitera les épithètes relatifs à l’épiderme, il évoquera simplement son père, « Pappy » Clarence, sa mère Kathleen, sa femme Valentine, ses enfants Marlow et Saul. Depuis la naissance de sa fille, blonde aux yeux bleus, il a en effet entrepris une réflexion profonde sur son identité et le poids massif des qualificatifs « noir », « blanc », « métis » et autres « quarterons », « octavons », « mulâtre », on s’en épargnera de bien pires.
Son essai, paru aux éditions du Seuil, s’intitule Autoportrait en noir et blanc, désapprendre l’idée de race (traduit par Colin Reingewirtz, 226 pages, 19,50 euros). C’est un brûlot subtil et dense, fidèle tout du long à l’épigraphe emprunté à Chroniques d’un enfant du pays, de James Baldwin : « Ce qu’il fallait, c’était s’accrocher aux choses qui importaient. L’homme mort importait, la nouvelle vie importait ; noirceur et blancheur n’importaient pas ; croire qu’elles importaient, c’était dire oui à sa propre destruction. »
« Une vérité sans entre-deux »
Comme Ta-Nehisi Coates (Une colère noire), Williams entremêle expérience personnelle et réflexion philosophique autour de la question raciale, mais pour parvenir à des conclusions radicalement différentes. « Toute ma vie, j’ai cru avec sincérité au précepte fondamentalement américain qui veut qu’une unique goutte de sang noir rende automatiquement une personne noire, et ce car elle ne pourrait jamais être blanche, écrit-il. Je dis “fondamentalement américain” parce que ce n’est pas le cas ailleurs. […] L’idée de voir l’identité noire comme une vérité sans entre-deux était tellement fondamental dans la conception que j’avais de moi-même que je n’avais jamais réellement considéré son bien-fondé. »
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La charmante vérité est que nous sommes tous le fruit d’une pluralité
En équilibriste, tant le chemin est semé d’embûches, l’essayiste de 40 ans détaille son évolution intellectuelle, jusqu’à sa décision de rejeter toute idée de race. Le risque ? Il est évident : être considéré comme traître à la cause antiraciste, être considéré comme l’allié de forces oppressives à l’œuvre depuis des siècles, responsables entre autres de l’esclavage, de la colonisation, de la ségrégation.
Thomas Chatterton Williams marche sur des œufs, et il le sait. Pour autant, sans minimiser les souffrances et les horreurs dues au racisme au cours de l’Histoire, il entend rester fidèle à la ligne annoncée en page 46 de son essai : « Qu’il découle de l’intolérance crasse ou d’un antiracisme bien intentionné importe peu : l’essentialisme (ou ce que James Baldwin décrivait comme « le fait d’affirmer que la catégorisation des individus est la seule réalité, et qu’elle ne peut pas être transcendée ») revient toujours à fuir le réel ; la charmante vérité, dans toute sa terrifiante complexité, est que nous sommes tous le fruit d’une pluralité. La pureté est toujours un mensonge, bien que celui-ci soit le plus manifeste lorsque le « mélange » est le plus frais. »
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Au cours de sa quête, comme beaucoup d’Africains-Américains, Williams est parti à la recherche de ses origines au coeur même de son ADN. Il a reçu les résultats par mail : « subsaharien » à 39,9%, « européen du Nord » à 58, 7%. Sa réaction ? « Je ferme l’onglet. Ce n’est pas un diagramme circulaire qui va me dire qui je suis, ni ce que je suis. » Toute sa démarche suit aujourd’hui ce mouvement : refuser les injonctions qui le somment d’entrer dans des cases prédéfinies et refuser de se comporter obligatoirement comme le groupe auquel il est censé appartenir l’exige.
Le chemin pour en arriver là a été long. Avec une sincérité troublante, ce natif de Newark raconte son évolution intellectuelle, son enfance, sa famille, ses premières amours, son engagement en faveur de Barack Obama… Tout, pendant longtemps, est considéré sous le prisme racial. À sa mère blanche, dans un magasin, quelqu’un souffle que cela ne doit pas être facile d’adopter « un enfant du ghettto »… Et quand, enfant, il affirme à son père que cela ne l’intéresse pas vraiment, la boxe, celui-ci se récrie : « Ça ne t’intéresse pas vraiment ? Qui t’a dit ça ? » Avant d’ajouter : « Moi vivant, ils ne feront pas de toi un blanc ! »
Provocateur
L’enfant est devenu adulte, il a voyagé, réfléchi, rencontré des personnes de toutes origines qui ont compté pour lui. Et notamment la journaliste française Valentine Faure, qu’il a épousée.
Son père a accueilli cet événement avec joie : « Ce moment résonne encore en moi comme ma première prise de conscience adulte de l’ambivalence et du stoïcisme dignes d’un bluesman dont Pappy a toujours fait preuve à l’égard de la race, et de sa catégorisation en tant qu’homme « noir » en Amérique. C’est sa constance que j’admire le plus ici – le fait qu’il soit prêt à accueillir dans son esprit deux idées amèrement contradictoires : la race n’existe pas ; et la race m’a profondément blessé – une constance à l’épreuve de toutes les circonstances, de même que le refus de laisser sa propre vie ou sa propre histoire dicter celles de ses enfants. En d’autres termes, même si Pappy estime que l’Amérique est irrémédiablement raciste, il refuse de l’être lui-même. »
Tant que les Noirs pourront être aussi facilement provoqués, nous ne serons jamais libres et égaux.
Un rien provocateur, Thomas Chatterton Williams achève sa quête, et son essai, sur un chapitre intitulé « Autoportrait d’un ex-homme noir ». Il ne s’agit bien évidemment pas d’un rejet de ses origines, de sa culture, de son histoire, mais d’une position politique opposée à celle de Ta-Nehisi Coates en laquelle il voit, souvent, « une vision insensée, un fantasme qui aplanit les différences psychologiques et matérielles au sein des groupes et entre ceux-ci, et qui ne sert qu’à renforcer un sentiment de souffrance permanent qui ne correspond pas nécessairement à son propre vécu ». Pour Williams, « tant que les Noirs pourront être aussi facilement provoqués – tant que cette douleur ancestrale à peine enterrée stagnera à la surface -, nous ne serons jamais libres et égaux. »
Humanisme revendiqué
Sa solution, dont il mesure à quel point elle est difficile à mettre en œuvre, tient en quelques mots : « Ma propre existence m’a montré à maintes reprises que si le racisme persiste, il peut être transcendé – avant tout par les relations humaines. » Cet humanisme revendiqué dérangera. L’auteur prend le risque – c’est assez rare pour le souligner – d’en tirer des conclusions non démagogiques.
« L’aspect le plus choquant du discours antiraciste d’aujourd’hui est la façon dont il reflète des conceptions de la race – à commencer par la particularité de l’identité blanche – que chérissent justement les penseurs de la suprématie blanche. […] S’ils aboutissent à des conclusions opposées, les racistes et de nombreux antiracistes ont en commun l’obsession de réduire les gens à des catégories raciales abstraites, tout en se nourrissant et en se légitimant mutuellement, tandis que ceux d’entre nous qui recherchent les zones grises et les points commun se font manger des deux côtés. »
L’identité noire, tout comme l’identité blanche, n’est pas réelle
Au bout du compte, au bout de ses quelque 200 pages de réflexion, Thomas Chatterton Williams écrit : « J’espère qu’autant de gens que possible, de toutes les couleurs de peau et de toutes les textures de cheveux, en viendront à se détourner de l’illusion de la race. » Pour lui « l’identité noire, tout comme l’identité blanche, n’est pas réelle. » Et à ceux qui le traiteront de naïf, il répond : « Je suis déterminé à vivre avec ce niveau-là de naïveté enfantine. C’est le seul antidote que je connaisse contre l’hypocrisie venimeuse du monde adulte, qui déploie des métaphores de couleur pour ranger les gens dans des castes qui se concrétisent ensuite dans le monde réel – des castes de couleur capables même de coopter insidieusement la résistance antiraciste, qui finit ainsi par renforcer ces termes illégitimes. »
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