Jeunes loups et vieux turbans

Premières élections libres et démocratiques, les législatives ont profondément bouleversé le paysage politique. Mais n’ont pas permis l’émergence d’une majorité parlementaire stable.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Jamais second tour d’élections législatives n’aura suscité autant de suspense en Mauritanie. « Du temps de Maaouiya Ould Taya [l’ancien président renversé en août 2005, NDLR], c’était toujours une formalité, la confirmation d’une victoire déjà assurée », dit-on à Nouakchott. Tel n’a certes pas été le cas du scrutin du 3 décembre. Il a en effet fallu attendre la fin du dépouillement dans les derniers bureaux de vote pour savoir qui l’emportait de la Coalition des forces du changement démocratique (CFCD, ex-opposition) ou des listes indépendantes majoritairement issues du Parti républicain pour la démocratie et le renouveau (PRDR, héritier du PRDS, l’ancien parti-État).
Le 19 novembre, le premier tour avait donné une nette avance à la CFCD, qui avait obtenu 26 des 95 sièges à pourvoir, contre 9 pour les indépendants, souvent soupçonnés de bénéficier des faveurs du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), la junte au pouvoir. « Le premier vote a été celui des grands centres urbains, où l’ex-opposition est traditionnellement bien implantée, explique un observateur. Au second, l’arrière-pays dominé par les chefferies conservatrices a rectifié le tir. » De fait, les indépendants sont parvenus à réduire très sensiblement leur retard d’un tour de scrutin à l’autre : ils obtiennent finalement 39 sièges, contre 41 à leurs adversaires. Victime d’une hémorragie continue de ses forces depuis la chute d’Ould Taya, le PRDR n’a pour sa part que sept députés, et ses alliés de l’ex-majorité présidentielle en ont six. La plupart de ses ténors sont passés à la trappe, à commencer par Zeidane Ould H’meida, le ministre du Pétrole du président déchu, battu dans son fief de Zouérate, dans le Nord, par un ouvrier originaire de la vallée du fleuve Sénégal. Tout un symbole. Les trois derniers sièges sont attribués à de petites formations.
On assiste donc à une complète recomposition du paysage politique. Pour la première fois, l’Assemblée nationale reflète la diversité de la société mauritanienne. Si plusieurs leaders de l’ex-opposition démocratique y font leur apparition et que de nombreux membres de l’ancien régime, désormais « indépendants », réussissent à s’y maintenir, la grande nouveauté est ailleurs. Dans l’élection de quatre islamistes modérés conduits par le très dynamique Mohamed Jemil Mansour ; dans celle de l’ex-commandant Saleh Ould Hannena et du capitaine Abderrahmane Ould Mini, les deux principaux auteurs de la sanglante tentative de putsch qui faillit renverser Ould Taya le 8 juin 2003 ; et, surtout, dans celle de 17 femmes (18 % des sièges). La candidate indépendante, Ezza Bent Hemmam, a notamment battu Rachid Ould Saleh, l’ancien président de l’Assemblée, à Aïoun, sa ville natale. « Finalement, on a plus de femmes que de barbus ! » se réjouit un jeune militant de gauche, qui se félicite également de la quasi-disparition de ceux qu’il appelle les « vieux turbans ». Les partis progressistes ont d’ailleurs remporté ici et là – notamment à Tidjikja (centre) et à Magta Lahjar (Sud) – des succès qui constituent autant de petits séismes.
« La Mauritanie n’est qu’à mi-chemin entre modernité et tradition, nuance un intellectuel. En dépit du très bon résultat de la CFCD, l’influence des notables reste considérable, comme en témoigne la percée des indépendants au second tour. » Reste à savoir quel est le réel rapport des forces dans le pays au lendemain de ces premières élections générales depuis le début de la transition engagée par le colonel Ely Ould Mohamed Vall et ses compagnons d’armes du CMJD. Ce qui n’est pas si simple.
Une bonne partie des 38 élus « sans étiquette » sont censés appartenir au Rassemblement des indépendants, une coordination dirigée par Lembrabott Sidi Ould Cheikh Ahmed, qui fut plusieurs fois le ministre de l’Intérieur d’Ould Taya. Vont-ils rester unis ? La coordination va-t-elle se transformer en parti politique ? Une chose est sûre : s’ils s’allient à leurs anciens camarades du PRDR et aux autres composantes de l’ancienne majorité, les indépendants retrouveront la haute main sur la Chambre basse du Parlement.
Même si la justice lui donne raison dans le contentieux qui l’oppose à l’administration pour l’attribution de quatre sièges à Kiffa et à Aleg, l’ex-opposition ne réussira pas à s’assurer la majorité absolue (48 sièges). Minoritaire en nombre de députés, elle est pourtant majoritaire dans le pays en termes de suffrages (plus de 56 %). Et elle dirige désormais les principales villes du pays. Ce qui est de bon augure dans la perspective de l’élection présidentielle du mois de mars. À condition que les membres de la CFCD réussissent à se mettre d’accord sur une candidature unique. Au mois de septembre, inquiets de l’émergence du « phénomène des indépendants », ils s’étaient engagés à uvrer en ce sens et s’étaient implicitement mis d’accord pour attendre les résultats des élections législatives et municipales avant de prendre une décision. Si cette logique se confirme, Ahmed Ould Daddah (63 ans), dont le parti, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), a réalisé les meilleurs scores, sera sans doute désigné.

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