Et de deux pour Ravalomanana

En attendant la proclamation des résultats officiels de la présidentielle, les partisans du chef de l’État sortant savourent déjà la victoire de leur champion. Dès le premier tour.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Une victoire propre et nette. Le 7 décembre au soir, alors que le dépouillement n’était pas encore achevé, Marc Ravalomanana a pu savourer non sans fierté sa réélection à la présidence de la République. Les résultats de plus de 80 % des bureaux de vote avaient été collectés, et le chef de l’État sortant, crédité de 56,4 % des voix, disposait d’une avance suffisamment confortable sur ses challengers pour ne pas avoir à subir l’épreuve d’un second tour.
Il récolte ainsi les fruits de son premier mandat, mais aussi les dividendes d’une campagne électorale menée au pas de charge. Comme à chaque fois qu’il entreprend quelque chose, ce bouillant homme d’affaires s’est jeté dans la compétition sans réserves. Et n’a pas lésiné sur les moyens. Allant jusqu’à enchaîner une dizaine de meetings par jour, le chef de l’État a sillonné le pays du nord au sud et d’est en ouest. De Diego-Suarez à Tuléar et de Mahajanga à Tamatave, sa campagne a bénéficié d’une mécanique bien rodée, minutieusement huilée par l’état-major de son parti, le TIM (Tiako I Madagasikara). Pour la première fois dans l’histoire du pays, un président malgache a visité un à un tous les districts de la Grande Île, qui en compte plus d’une centaine. Au cours de ce marathon qui a duré une vingtaine de jours, le chef de l’État sortant a fait escale dans près de 160 localités et parcouru 17 000 km, multipliant les meetings au prix d’un timing très serré : discours calibré de sept à dix minutes, agrémenté de chants et de danses traditionnels, le tout réglé selon une mise en scène très pointue et, à l’arrivée, un franc succès.
Il est vrai que pour parcourir le pays le candidat soutenu par le TIM a bénéficié d’une logistique éprouvée. Outre les deux hélicoptères mobilisés pour l’occasion, le groupe agroalimentaire Tiko, qui lui a permis de bâtir sa fortune, a fait l’acquisition en octobre d’un ATR 42, avec lequel Ravalomanana a multiplié les déplacements à travers le pays. Parmi ses challengers, seul l’homme d’affaires Herizo Razafimahaleo a pu emprunter la voie des airs en louant un hélicoptère au coup par coup. Bref, sur un territoire de 587 000 km2 (vaste comme la France et le Benelux réunis) et où les liaisons routières restent très limitées, Ravalomanana fut le seul candidat à pouvoir se targuer d’avoir véritablement rencontré les électeurs malgaches dans toute leur diversité. « Puisque aucune disposition légale ne l’interdit, je vais mettre le paquet », avait annoncé le président sortant. Et il a tenu promesse. Il s’est offert une véritable campagne à l’américaine, ignorant superbement les accusations d’abus de biens sociaux proférées par ses adversaires à son encontre. Lui préfère mettre en avant sa popularité, ce que l’on peut difficilement lui contester. Si ses partisans les plus exaltés auraient pu être tentés de bourrer les urnes pour assurer la victoire de leur champion au premier tour, ils n’ont pas eu, selon les observateurs internationaux, besoin de le faire.
Les adversaires du régime estiment que le bilan de Ravalomanana peut se résumer aux infrastructures qui ont vu le jour au cours de son premier mandat. Mais dans ce pays paralysé par son enclavement, les 4 500 kilomètres de routes goudronnées réalisés depuis 2002 sont loin d’être négligeables. Elles ont permis aux ruraux (qui constituent 75 % de la population) de mieux vendre leurs récoltes et d’accroître leurs revenus. Accusé de privilégier les populations originaires – comme lui – des hauts plateaux (la région de l’Imerina), Ravalomanana a montré à travers cette élection qu’il transcende les clivages communautaires. Car, au-delà des provinces centrales, c’est dans toutes les campagnes malgaches qu’il puise sa popularité. Indubitablement l’électorat rural se reconnaît dans cet homme d’origine modeste, qui restera le premier chef d’État à s’être intéressé aux paysans, d’où qu’ils soient.
Ravalomanana, qui a misé gros sur sa réélection, a donc rentabilisé son investissement. Aucun de ses challengers n’a réussi à l’inquiéter véritablement. En fait, seuls deux candidats ont flirté avec le seuil des 10 % des voix : il s’agit de l’ex-président de l’Assemblée nationale, Jean Lahiniriko, et du maire de Toamasina (Tamatave), Roland Ratsiraka. Neveu du président déchu, celui-ci ne s’est pas privé de mettre en avant son patronyme pour gagner des voix, allant même jusqu’à jouer volontairement de sa ressemblance avec l’Amiral, reprendre certains de ses slogans et imiter certaines de ses intonations au fil de ses meetings. « Bien qu’il n’ait pas bénéficié du soutien officiel de son oncle, Roland Ratsiraka devrait réaliser une bonne performance, commentait un spécialiste de la politique locale. Il a fait une bonne campagne et pourrait, à plus long terme, capitaliser sur ce succès pour se poser en alternative crédible à Ravalomanana. » Reste que, si l’agglomération d’Antananarivo a voté massivement pour « Marc » (il engrange 70 % des voix), l’intéressé a également marqué des points dans plusieurs villes du littoral, comme Mahajanga.
Ces résultats sont-ils incontestables ? Plusieurs organisations internationales – Institut électoral d’Afrique australe (EISA), Commission de l’océan Indien (COI), Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et South African Development Community (SADC) -, qui ont dépêché des observateurs pour contrôler la régularité du vote, ont en tout cas décerné un satisfecit global aux organisateurs du scrutin malgré quelques défaillances. « Les conditions de cette élection ont été non pas idéales mais acceptables, a estimé l’ancien Premier ministre mauricien, Paul Bérenger, responsable de la mission de l’EISA. Parmi les lacunes relevées, certains ont noté des faiblesses dans l’établissement des listes électorales et la distribution des cartes d’électeurs.
Les attaques les plus vives sont finalement venues de l’écurie de Roland Ratsiraka, qui a dénoncé des fraudes survenues durant le dépouillement. Il est toutefois peu probable que ses griefs puissent remettre en question le résultat définitif, qui doit être proclamé par la Haute Cour constitutionnelle (HCC), probablement d’ici au 20 décembre.
Il est vrai que la Grande Île veut tourner la page au plus vite. La population reste traumatisée par les violences postélectorales de 2002, provoquées en partie par la contestation des résultats du premier tour de la présidentielle de décembre 2001, qui opposait Marc Ravalomanana au sortant, Didier Ratsiraka. Hantés par le souvenir de cette crise, les Malgaches, dans leur majorité, ne souhaitaient pas jouer les prolongations avec un second tour qui aurait risqué de creuser l’antagonisme entre le président sortant et ses adversaires, unis contre lui pour la circonstance. Les électeurs semblent donc avoir opté pour « le changement dans la continuité », comme l’a martelé avec décontraction et assurance Ravalomanana tout au long de la campagne.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires