Ce n’est qu’un début

Ils se sont multipliés à grande vitesse et constituent aujourd’hui la vitrine de la nouvelle stratégie. État des lieux.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Quartier de Sidi Maârouf, dans la banlieue high-tech de Casablanca. Derrière les murs de l’immeuble CBI, une grande salle où s’alignent des dizaines de box individuels équipés d’un bureau, d’un téléphone et d’un écran plat. Les professionnels les appellent des « positions ». La plupart sont occupées par des jeunes femmes, certaines voilées, qui ne paraissent pas avoir plus d’une trentaine d’années. Écouteurs sur les oreilles, micro devant la bouche et souris à la main, elles passent entre sept heures trente et huit heures par jour dans ces petits compartiments. Leur mission : téléphoner. Les unes sont préposées aux « appels entrants » : elles doivent renseigner ou dépanner à distance les personnes qui les contactent. Les autres sont en charge des « appels sortants » : ce sont elles qui prennent l’initiative du coup de fil pour « sonder » leurs interlocuteurs ou leur vendre un produit par correspondance. Bienvenue chez Intelcia, l’un des nombreux centres d’appels aujourd’hui implantés dans le royaume chérifien.
« Leur nombre a commencé à augmenter en l’an 2000 », raconte Karim Bernoussi, le PDG de l’entreprise. Comme les Anglo-Saxons quatre ou cinq ans plus tôt, les Français ont pris conscience des avantages qu’ils pouvaient tirer de la délocalisation ou de l’externalisation de leurs services d’assistance téléphonique dans un pays qui parle leur langue, à trois heures d’avion de Paris seulement. Au Maroc, le salaire d’un téléconseiller est d’environ 4 000 DH (360 euros) par mois, soit 3,5 fois moins que le salaire minimum légal pratiqué dans l’Hexagone. « Depuis la découverte de ce filon, c’est l’explosion », ajoute Karim Bernoussi. Atento, Arvato, Webhelp, Sitel, B2S, Clientlogic : en six ans, des dizaines de call-centers ont fleuri dans le pays. On en recense près de 180 aujourd’hui, qui emploient entre 20 000 et 25 000 salariés. Attrayant, le charme marocain a également agi sur les Belges, les Suisses et les Espagnols.
De son côté, Intelcia en a profité. Alors qu’il ne comptait qu’un seul client il y a six ans, le centre d’appels en revendique quatre aujourd’hui. En plus de la hotline du fournisseur d’accès Internet et opérateur de téléphonie mobile français TELE2, la société assure désormais la vente par correspondance des produits La Redoute, les renseignements téléphoniques de l’Office national des chemins de fer marocain (ONCF) et les enquêtes d’opinion de l’institut de sondage parisien CSA. Un surcroît d’activité qui a conduit au plein essor de la société : de 120 en l’an 2000, le nombre de ses « positions » est passé à 400 aujourd’hui et pourrait même grimper jusqu’à 500 ou 600 en 2007. La direction souhaite en effet se diversifier dans des métiers d’expertise à plus forte valeur ajoutée, comme le conseil juridique ou financier et, pourquoi pas, la consultation médicale à distance. Dans cette perspective, les locaux ont été agrandis : le 23 novembre dernier, Intelcia a ouvert un second site, boulevard Mohammed-V, dans le centre de Casablanca. Un tel développement n’aurait sans doute pas été possible sans une professionnalisation croissante du fonctionnement de l’entreprise et sa totale adaptation aux exigences de ses clients. L’organigramme a été renforcé et strictement hiérarchisé. Les 350 téléconseillers sont répartis par équipe de douze et placés sous l’autorité d’un superviseur.
Ces team leaders, comme on les appelle, sont eux-mêmes répartis en trois groupes de dix et coiffés par un business-manager. Les horaires de travail ont, eux, été alignés sur ceux de l’Hexagone. Le personnel embauche à 6 heures du matin, quand il est déjà 8 heures à Paris. Toute recrue est par ailleurs soumise à une session de formation intensive. Durant une à deux semaines, elle suit des cours de téléconseil, apprend à articuler, et ingurgite les grandes notions culturelles et géographiques françaises. « Les sociétés qui délocalisent sont intransigeantes. Elles veulent des opérateurs qui parlent le français sans accent », explique Karim Bernoussi. Par souci de fournir un service de qualité évidemment. Mais peut-être aussi pour des raisons de discrétion.
Très mal perçues en France, les délocalisations à l’étranger sont des sujets dont les multinationales n’aiment pas faire la publicité. « Nous ne pouvons pas dire aux clients qu’ils nous appellent à Casablanca, raconte ainsi une jeune opératrice entre deux coups de fil. Quand un client me demande où je me trouve, je lui réponds que je suis à Vélizy, dans la banlieue sud de Paris. Et s’il s’étonne de mon accent, je lui dis que je suis d’origine maghrébine », poursuit la jeune femme. La consigne est scrupuleusement respectée. Sept « agents qualité » veillent à toutes les conversations. Les propos tenus par les téléconseillers sont écoutés deux fois par jour puis « débriefés ». Les pauses, enfin, sont savamment orchestrées. Dans la cafétéria, la télévision diffuse en permanence les programmes de TF1 et France 2. Et surtout leurs tunnels de publicités, dont celles de La Redoute et TELE2 Histoire de se familiariser avec les marques qu’ils vantent toute la journée.

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