Bush, ou « le dernier néocon »

Il est temps de chercher une porte de sortie en Irak. Chacun en est convaincu. Sauf peut-être le président.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

A la question d’un sénateur, « Sommes-nous en train de gagner la guerre en Irak ? », Robert Gates, le nouveau secrétaire à la Défense, a répondu : « Non. » Pas de circonlocutions, pas de périphrases : non, catégoriquement non. « Votre prédécesseur ne nous avait pas habitués à tant de franchise », a lancé Hillary Clinton.
En fait, aujourd’hui, Donald Rumsfeld lui-même ne dit pas autre chose. Deux jours avant sa démission forcée, il avait adressé un mémorandum confidentiel à la Maison Blanche. Son appréciation de la situation en Irak sonne comme un aveu. Non, ça ne marche pas, et « il est temps d’opérer un changement majeur ». Dans ce document révélé par le New York Times, Rumsfeld dit à propos de l’Irak le contraire de ce qu’il a toujours dit. Avec le président Bush et le vice-président Cheney, il a constamment demandé de « maintenir le cap ». Visiblement, le flamboyant va-t-en-guerre cherche à sauver les meubles en Irak et sa peau – en tout cas sa réputation – par la même occasion. Il s’agit d’une opération de survie. Les quelque douze « options » qu’il esquisse dans son mémo sont destinées à montrer son ouverture d’esprit et sa capacité d’adaptation. Il avait rencontré plusieurs fois le président, mais il ne devait pas savoir que son limogeage était imminent (voir p. 20 le texte intégral du mémo).
Après la prestation de Gates devant le Sénat et la divulgation du testament de Rumsfeld, voici le rapport de James Baker sur l’Irak. Publié le 6 décembre, il est intitulé « La marche à suivre. Une nouvelle approche ». On en connaissait déjà les grandes lignes, mais sa diffusion intégrale crée à coup sûr une situation nouvelle. Après la « raclée » électorale infligée au parti du président, l’Irak apparaît plus que jamais comme une affaire « domestique ». Le rapport ne se contente pas d’établir le même diagnostic, il esquisse une politique de rechange. Il n’est pas question d’une évacuation totale et précipitée des troupes américaines mais d’un retrait échelonné. On devrait procéder à un changement de la mission de l’armée américaine et à son redéploiement. Les boys seront moins affectés à des tâches de sécurité et versés dans la formation, moins dangereuse, des forces irakiennes. Alors que la guerre civile fait rage, l’objectif n’est plus la « victoire » claironnée par Bush mais, plus modestement, la « stabilisation ». À cet effet, on devrait rechercher l’indispensable coopération de la Syrie et de l’Iran, opportunément soustraits de l’« axe du Mal ». On voit bien l’alternative que préconise Baker : ne pas abandonner l’Irak mais passer la main aux Irakiens.
Question : les Irakiens que Rumsfeld veut « secouer » font-ils l’affaire ? Les Irakiens dont il s’agit, c’est d’abord le Premier ministre Nouri al-Maliki sur lequel Bush a jeté son dévolu, en dépit de ses tares dûment répertoriées dans un document secret de la Maison Blanche. Or, il a son propre agenda et il n’est pas du tout certain qu’il réponde aux attentes de Washington. Il affirme contre l’évidence qu’il peut en finir avec la rébellion dans les six mois et rejette toute concertation avec les voisins.
Autre écueil : Bush lui-même. À la question posée à Gates au Sénat, il avait répondu avec humeur : « Bien sûr que nous sommes en train de gagner ! » La dénégation et la méthode Coué ont été jusqu’à présent les traits distinctifs de sa politique irakienne. Il a multiplié les réserves anticipées aux recommandations de Baker. Alors qu’à Washington le « réalisme » semble l’emporter sur les fantasmagories des « néocons » et que la recherche d’une « porte de sortie honorable » de l’Irak apparaît comme une priorité, il n’est pas certain que le président se résigne au nouveau cours. Selon l’un d’eux, « il est le dernier néocon » de l’administration. Dans sa dernière livraison (11 décembre), la couverture de Time sur l’Irak prend des allures de tract : « Il faut maintenant une stratégie de sortie. Bush ne peut qu’écouter. » Ce serait nouveau. L’écoute n’est pas exactement dans sa culture.

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