Au Camerounet nulle part ailleurs

Le pays de Paul Biya passe pour une carte postale figée où rien ne bouge. C’est en fait un lac aux eaux dormantes. Il cache de multiples courants qui s’agitent en profondeur.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Se replonger pour quelques jours, en cette fin d’année, au cur des réalités camerounaises après six mois d’absence, c’est un peu comme se réinstaller dans un fauteuil de cinéma après être allé s’acheter un paquet de pop-corn. « Tu n’as rien loupé d’essentiel », me glisse un ami. C’est vrai : le scénario est à ce point linéaire que le film paraît se rejouer en boucle, à l’infini. Ainsi va le Cameroun. De loin, il ne s’y passe rien, ou presque, qui intéresse les journalistes. De près, pas grand-chose de plus, sauf à considérer comme autant d’événements le retour de voyage du président Paul Biya, la défenestration mystérieuse d’un étudiant du huitième étage d’un grand hôtel de Yaoundé, l’assassinat crapuleux d’un colonel à la retraite, ou les révélations d’une chanteuse divorcée qui raconte comment son ex-mari, un avocat de renom, l’a fait violer par des sbires. Bref, on fait le yo-yo entre le soporifique et le nauséeux. À tort ?
Oui, à tort. Cette carte postale figée comme les eaux dormantes d’un lac – après tout, c’est la rançon de la paix civile – cache les multiples courants qui s’agitent en profondeur. Redynamisation du tissu économique, créativité des entrepreneurs de Douala de plus en plus déconnectée de la trop politique Yaoundé, paysage médiatique en pleine expansion avec l’apparition de nouvelles chaînes de télévision, progrès sensibles dans le domaine du respect des droits de l’homme (le ministère de la Justice vient de publier son premier rapport sur le sujet), procès spectaculaires de baobabs tombés dans les filets de la lutte contre la corruption Même si la communication n’a jamais été la tasse de thé d’un pouvoir dont les ministres jouent à merveille leur partition de muets du sérail, un peu d’effort et de bonnes lunettes permettent de voir que les choses changent peu à peu. Au rythme prudent, contrôlé et millimétré de l’hôte du palais présidentiel d’Etoudi.
Exemple : les élections. Des législatives sont annoncées pour juin 2007, et le Premier ministre Ephraïm Inoni reçoit tous azimuts en ce début décembre. Dans son bureau défilent chefs de parti, représentants de la société civile, opérateurs économiques, leaders religieux, universitaires. Tous sont consultés sur la mise en place d’une Commission électorale indépendante, dont les médias, unanimes, semblent considérer comme acquis qu’elle sera opérationnelle pour la prochaine consultation. Or rien n’est moins sûr : cette Ceni à la camerounaise n’a encore ni budget ni statut, et on voit très mal comment elle pourrait sortir du néant en quelques mois. Il y a donc de très fortes chances pour que ce soit encore le ministère de l’Administration territoriale – lequel promet la transparence la plus totale – qui organise les législatives de juin. Pourquoi précipiter le mouvement quand rien, et surtout pas l’état d’une opposition en pleine déliquescence, ne vous y contraint ?
Pour Paul Biya, dont l’apparente placidité cache un tempérament minutieux, extrêmement attentif aux détails et à la fragilité de son pays, parfois angoissé, c’est hors de Yaoundé et de son microcosme faisandé que se déroule l’important. Derrière les grèves à l’université de Buéa, à propos de la liste des admis au concours d’entrée à la faculté de médecine, il sait que se profile le malaise récurrent entre anglophones et francophones. Au-delà de la colère des riziculteurs musgums de Maga dans l’Extrême-Nord, il n’ignore pas que toute la partie septentrionale et orientale du Cameroun peut demain devenir le terrain de chasse des bandes organisées et lourdement armées de coupeurs de route qui sévissent au Tchad et en Centrafrique. Selon des sources européennes à Yaoundé, les exactions de ces criminels transfrontaliers ainsi que leurs affrontements avec les forces de l’ordre se seraient soldés par un millier de victimes en 2005. De retour fin novembre d’un voyage en Chine et en Suisse au cours duquel il est allé « vendre » le produit Cameroun, Biya s’est immédiatement attelé à ces priorités. Selon l’un de ses tout récents visiteurs, cet homme de 73 ans a une « conscience aiguë » de ce qui ne va pas, tout en étant habité par l’obsession d’avancer sans rien brusquer : « pour lui, le principe de précaution est absolument cardinal ».
Preuve, en définitive, que le Cameroun est redevenu l’un des États les plus attractifs de la région : les ambassadeurs de France et des États-Unis à Yaoundé rivalisent d’initiatives et d’exposition médiatique. Le premier, George Serre, venu de Kinshasa pour occuper l’un des plus gros postes de la coopération française en Afrique subsaharienne, est un homme de gauche, excellent connaisseur du continent, qui n’hésite pas à revendiquer sa part d’Afrique (il a des origines malgaches) pour séduire. Il se dit impressionné par la qualité et l’acuité des élites camerounaises. Le second, Niels Marquardt, dont la nouvelle et impressionnante ambassade-bunker jouxte la résidence en construction de Paul Biya et le palais d’Etoudi, est un activiste qui s’en alla un jour voir le chef de l’État avec en poche la liste des personnalités présumées les plus corrompues du pays. L’un et l’autre se marquent à la culotte, et quand on vous courtise ainsi, c’est la preuve que tout ne va pas si mal.
Jeudi 30 novembre 2006. Il y a dix-sept ans, un certain Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun, décédait loin de chez lui, à Dakar, où sa dépouille repose toujours. Il ne s’est pas trouvé un seul Camerounais pour me rappeler cet anniversaire, lequel n’a pas fait une ligne dans les journaux du jour. Ce qui démontre deux choses. Que la mémoire des peuples est fugace et ingrate, certes. Mais aussi – qui s’en plaindra ? – que les Camerounais ont suffisamment de motifs d’espérer pour ne pas se réfugier dans les paradis artificiels de la nostalgie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires