Abd al Malik : Gibraltar story

Noir, musulman et rappeur. Et pourtant, cet artiste défie tous les clichés. Entretien avec l’ambassadeur de la nouvelle scène musicale française.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

A tout juste 31 ans, il semble avoir déjà plusieurs vies derrière lui. Né à Paris de parents congolais, il s’appellera d’abord Régis avant d’opter pour Abd al Malik le jour où il succombe à un islam plutôt radical. Parallèlement à son prosélytisme actif, il mène une scolarité brillante, mais aussi une double vie de délinquant. À l’insu de ses coprêcheurs, il est aussi à l’époque leader des New African Poets, un groupe de rap. En 1999, il découvre le soufisme, sa schizophrénie prend fin. Une nouvelle vie commence.
Gibraltar*, son album sorti en juillet dernier, évoque à travers 14 titres « complètement autobiographiques » ce sacré parcours qu’il a déjà raconté dans Qu’Allah bénisse la France (Albin Michel, 2004). Actuellement, il enchaîne les concerts, écrit une sorte de « petit livre rouge » du rap, travaille à un recueil de nouvelles ainsi qu’à un conte moderne sur le soufisme Dans cet agenda bien chargé, il a trouvé une petite demi-heure pour nous parler de son univers musical et spirituel.

Jeune Afrique : Pas facile d’étiqueter votre dernier album. Où trouve-t-on Gibraltar ? Au rayon rap ?
Abd al Malik : Chez Universal, certains voulaient le mettre au rayon jazz, d’autres à celui de la world et d’autres encore dans le coin rap. Quand on m’a demandé mon avis, j’ai répondu que le mieux c’était de le ranger dans la catégorie rap, pour montrer que ce genre musical peut aussi rassembler toutes ces identités. Ce mélange reflète ce que j’aime, à savoir le rap (Jay Z, Nas), le jazz (Miles Davies, Coltrane) et Jacques Brel. Je suis également un fou de littérature et cet album est un condensé de toutes ces influences. Ce disque, c’est vraiment moi, moi ?tout entier.
« Les autres » est un hommage évident à Brel
Totalement. J’ai redécouvert Brel il y a une dizaine d’années grâce à ma femme [la chanteuse d’origine marocaine Wallen, NDLR] et ça a été un coup de foudre. Brel, c’est une force d’interprétation, des textes incroyablement bien écrits et, surtout, une musique. Mon rêve était de faire appel aux personnes qui ont composé les morceaux de Brel, et il s’est réalisé puisque j’ai eu la chance de travailler avec le pianiste Gérard Jouannest [le compositeur attritré de Brel, NDLR] sur cet album.
Dans « 12 septembre 2001 », vous citez Deleuze, Derrida
Je suis un grand admirateur de cette école de la déconstruction qui a utilisé la philosophie pour interroger notre époque. Pour comprendre quelque chose, il faut le démonter. Je veux tout déconstruire : la notion de rap, toutes les idées fumeuses sur l’islam, le fait de venir de banlieue, ce que signifie être français Est-ce juste une couleur de peau ? Le droit du sol ? Celui du sang ? Je veux déconstruire ces concepts pour dire qu’en fait derrière toutes nos postures sociales, culturelles, religieuses et autres, il y a juste des femmes et des hommes avec un cur qui bat, des gens qui rêvent ou qui ont peur.
L’influence soufie est évidente dans Gibraltar. Dans les textes, empreints de religiosité, mais aussi dans le rythme.
Le rap, c’est hypnotique et répétitif. Cette répétition se retrouve également dans les chants soufis, dans l’invocation. Dans le soufisme et dans l’islam en général, il y a cette notion de « rappel », de « souvenir », et cela se manifeste par la répétition de certains noms divins et par l’attestation de foi « il n’y a de Dieu que Dieu ». Le soufisme et le rap sont en moi ; il est donc naturel qu’ils se retrouvent dans mes chansons.
Gibraltar aurait-il existé s’il n’y avait eu ce voyage initiatique au Maroc, où vous découvrez le soufisme ?
Il n’existerait pas. Cet album est le fruit d’un cheminement. C’est le regard que je porte sur moi avant et après. Auparavant, j’avais une conception de la vie souvent binaire : je suis dans la vérité, les autres sont dans l’erreur, c’est la faute des autres, de l’État ou d’Untel. Symboliquement, le détroit de Gibraltar c’est à la fois ce qui fait le lien et ce qui sépare. Humblement, j’ai envie de créer un lien entre les cultures, les générations, le Nord et le Sud, les Noirs et les Blancs.
La chanson titre évoque paradoxalement un jeune Noir qui, depuis le détroit, vogue vers le « merveilleux royaume du Maroc ». N’idéalisez-vous pas ?
Il n’y a pas d’idéalisation. Je pense que partout, au Nord comme au Sud, on trouve ce qu’on cherche. Personnellement, c’est au Maroc que j’ai rencontré mon maître spirituel. Et c’est là-bas que j’ai trouvé un islam en mouvement qui veut progresser. Il y a dans ce pays une démarche dont le reste du monde musulman devrait s’inspirer, et qui prouve que l’islam n’est ni figé ni archaïque, mais ouvert et universel.
Chrétien de naissance, vous vous êtes d’abord laissé tenter par un islam radical avant de devenir soufi
J’ai le sentiment d’être devenu véritablement musulman quand j’ai découvert le soufisme. Avant cela, j’avais une vision idéologisée, où je confondais le problème identitaire et la spiritualité. Or la spiritualité est une expérience d’amour, quelque chose qui nous pacifie et nous permet d’être à l’écoute de l’autre et dans le dialogue avec lui.
Comment voyez-vous l’avenir des jeunes qui vivent dans les mêmes cités que celles où vous avez grandi ?
J’ai beaucoup d’espoir. J’ai confiance dans les valeurs de mon pays qui permettent de réagir pour peu qu’on donne aux gens des cités des outils républicains, démocratiques et laïques par le prisme de l’école. La solution est dans l’école, et j’exhorte les politiques à en prendre conscience et à agir dans ce sens. Il s’agit de faire en sorte que la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » ne soit pas juste des lettres mortes inscrites sur le fronton des préfectures. Il faudrait prendre conscience que la France est devenue un pays arc-en-ciel où le principe de laïcité garantit le fait que l’on puisse être juif, chrétien, musulman, bouddhiste, croyant ou non, et avancer ensemble main dans la main vers un projet commun.

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* Gibraltar, Atmosphériques, Universal Music, 13 euros.

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