Wangari Muta Maathai

Première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la paix, cette écologiste kényane recueille là le fruit de plus de vingt-cinq ans de militantisme.

Publié le 11 octobre 2004 Lecture : 6 minutes.

« Trop éduquée, trop forte, trop souvent couronnée de succès, trop obstinée et trop difficile à contrôler » : voilà les qualificatifs qu’inspirait l’écologiste kényane Wangari Muta Maathai à son mari au jour de leur divorce. Il y voyait d’irrépressibles défauts, les jurés du prix Nobel de la paix n’y ont vu que des qualités. Le 8 octobre 2004, celle qui occupe depuis janvier 2003 le poste de ministre adjoint de l’Environnement, des Ressources naturelles et de la Faune dans le gouvernement de Mwai Kibaki est devenue la première femme africaine à recevoir la fameuse distinction. Une récompense qui consacre un engagement sans faille en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix, et une carrière entamée en plantant des arbres.
Wangari Maathai a toujours été première en tout. Née à Nyeri, dans le centre du Kenya, le 1er avril 1940, elle réussit, au prix d’une longue expatriation, à mener à bien de longues études – ce qui est alors exceptionnel pour une fille. Diplômée en biologie du Mount Saint Scholastica College (1964) dans le Kansas, puis de l’Université de Pittsburgh (1966) en Pennsylvanie, elle retrouve sa terre natale pour des recherches en médecine vétérinaire. Malgré le scepticisme ambiant et le regard condescendant de ses mâles condisciples, elle parvient à décrocher le titre de docteur (Ph.D) à l’Université de Nairobi (1971).
D’abord professeur d’anatomie animale, elle gravit les échelons et devient chef du département vétérinaire en 1976. Jamais de telles positions n’avaient été occupées par une femme au Kenya… Pourtant, en 1977, elle abandonne l’université et crée le Green Belt Movement (GBM, Mouvement de la ceinture verte) en plantant neuf arbres dans son jardin. L’idée est simple : il s’agit de lutter contre la déforestation, aux catastrophiques conséquences écologiques (érosion des sols, désertification, pollution des eaux…) et humaines (manque de bois de chauffe et de nourriture pour le bétail, famine…). Simple, mais visionnaire. Wangari Maathai parvient à entraîner derrière elles nombre de Kényanes qui créent des pépinières et persuadent les fermiers de planter les jeunes pousses d’arbre qu’elles produisent.
« Les femmes, soutient Wangari, sont responsables de leurs enfants, elles ne peuvent s’asseoir, perdre du temps et les regarder mourir de faim. » En contrepartie, le GBM offre un peu d’argent pour chaque pousse qui dépasse trois mois de vie. « Au début, les gens disaient que les femmes ne pouvaient planter des arbres, qu’elles ne possédaient pas le savoir-faire nécessaire, qu’elles n’étaient pas éduquées et n’avaient pas de diplôme universitaire. Nous leur avons donné ce savoir, et les arbres ont l’air en bonne santé, comme ceux plantés par des forestiers. Elles sont devenues des « forestiers sans diplôme » », raconte Wangari.
Au bout de quinze ans, le programme emploie 50 000 femmes, qui ont planté plus de dix millions d’arbres. Mais cela ne peut suffire à la forte tête au large sourire. Le GBM, en collaboration avec le National Council of Women of Kenya, met en place des services de planning familial, de nutrition et d’information qui, tous, visent à améliorer le statut de la femme. En 1986, le GBM a fait des émules et s’étend sur le continent (Tanzanie, Ouganda, Malawi, Lesotho, Éthiopie, Zimbabwe…) via le Panafrican Green Belt Network. Mêmes méthodes, mêmes résultats.
Wangari Maathai est une altermondialiste avant l’heure : elle pense global et agit au niveau local. Mais, comme elle le rappelle : « Vous ne pouvez pas vous battre pour l’environnement sans finalement entrer en conflit avec les politiciens. » Or, à cette époque, la vie politique kényane est dominée par la figure autocratique de Daniel arap Moi, qui ne souffre guère d’opposition et voit d’un mauvais oeil la société civile contester son pouvoir. En 1989, Wangari s’oppose à la coûteuse construction d’un gratte-ciel de 62 étages dans le parc Uhuru de Nairobi. Les 200 millions de dollars économisés pourraient plus utilement servir à lutter contre la pauvreté, la faim et l’analphabétisme… Wangari est momentanément détenue par la police et contrainte d’abandonner ses bureaux dans un délai de vingt-quatre heures. Elle remportera tout de même son combat : effrayés par le tapage médiatique, les investisseurs étrangers se retirent du projet. Mais ce n’est que le début d’une lutte de plus de dix ans qui va l’opposer au népotisme et à la corruption du régime d’arap Moi.
Membre fondateur du Forum for the Restoration of Democracy, Wangari se fait le porte-voix des prisonniers politiques. En 1992, elle est tabassée par la police au cours d’une manifestation, jusqu’à perdre conscience. La même année, elle est condamnée pour propos subversifs… La femme qui fait aujourd’hui honneur à l’Afrique est alors « une folle », « une menace à l’ordre et à la sécurité du pays », un « fauteur de troubles », « un pantin ignorant et lunatique à la solde d’intérêts étrangers », une « monstruosité sans précédent ». Cela va-t-il l’arrêter ? Que nenni ! « Ils pensent qu’ils peuvent m’embarrasser et me faire taire avec des menaces et des noms d’oiseau ? Mais j’ai une peau d’éléphant ! Et quelqu’un doit élever la voix ! Autant ne rien faire si je dois ne rien dire », clame-t-elle.
En 1997, poussée par ses amis, Wangari se présente à l’élection présidentielle contre Daniel arap Moi, sous les couleurs du Liberal Party of Kenya (LPK). Sa candidature est écartée au dernier moment par les chefs du LPK, et le successeur de Jomo Kenyatta rafle une fois de plus la mise. Elle ne renonce pas. Deux ans plus tard, elle est de nouveau blessée par la police alors qu’elle plante des arbres dans la forêt publique de Karura, à Nairobi, et reçoit le soutien d’Amnesty International. Son nom commence à être connu à travers le monde. Elle siège dans plusieurs organisations (Jane Goodall Institute, Women and Environment Development Organization, Green Cross International, etc.) et reçoit une multitude de prix : Woman of the Year Award (1983), Windstar Award for the Environment (1988), Goldman Environmental Prize (1991), Global 500 Award des Nations unies, Golden Ark Award (1994)… Son discours volontariste est un appel au développement de l’Afrique par l’Afrique – et par les Africaines : « Quand vous encouragez les femmes à planter des arbres et que vous payez pour les pousses qui survivent, vous mettez l’argent entre les mains des femmes pauvres des zones rurales. Elles en retirent une satisfaction personnelle très importante. Alors que l’aide extérieure développe un esprit de dépendance. »
En décembre 2002, la Coalition Arc-en-Ciel (Narc) emmenée par Mwai Kibaki a mis fin au règne de Daniel arap Moi. Cette alternance démocratique, si rare en Afrique, a permis à Wangari Maathai d’être élue au Parlement avec un score record (98 % des votants), puis nommée au ministère de l’Environnement. Un poste « très excitant » qui lui permet de « participer au changement ». Avec cet inévitable bémol : « Le gouvernement a la volonté, mais il doit encore mettre la machine en route, et cela peut prendre du temps. »
Pour le comité Nobel, Wangari Maathai « représente un exemple et une source d’inspiration pour tous ceux qui, en Afrique, luttent pour le développement durable, la démocratie et la paix », puisque « son approche holistique du développement durable embrasse la démocratie, les droits de l’homme en général et les droits des femmes en particulier ». Ce premier prix Nobel féminin et africain récompense ainsi une militante dévouée, un pays en marche vers la démocratie, mais surtout toutes les femmes du continent, cette moitié travailleuse de la population trop souvent tenue pour quantité négligeable. C’est un encouragement pour la société civile… et un véritable pied de nez aux politiciens mâles qui monopolisent le pouvoir à mauvais escient.
Mère de trois enfants – Waweru, Wanjira et Muta -, Wangari se souvient du premier arbre qu’elle a planté : « Oui, oui, le tout premier est toujours là. C’est un grand arbre, maintenant, au milieu d’un marché. Parfois, je vais le voir. Il pousse bien. » Depuis, des forêts sont nées. Cent mille femmes ont planté 30 millions d’arbres. Elles peuvent bien faire choeur avec Wangari pour affirmer au monde : « Nous plantons les graines de la paix, maintenant et pour le futur. »

(Voir aussi, p. 77, le Nobel de littérature.)

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