Un pavé dans la mare à Assilah

Le Festival d’Assilah occupe une place à part dans le paysage estival marocain (voir J.A.I. n° 2274). Créé voilà vingt-six ans par le maire de la petite ville du Nord,Mohamed Benaïssa, il a acquis au fil des ans une dimension internationale. À Assilah,

Publié le 13 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Merci aux organisateurs de cette réunion d’éminents intellectuels africains de m’y avoir convié, bien que je ne sois ni intellectuel, ni – comme on l’a sans doute remarqué – africain.
Je voudrais profiter de la présence, justement, de tant d’éminents personnages pour, humblement, leur poser quelques questions. À commencer par l’intitulé de la présente réunion: « Afrique: les espoirs perdus ». Est-ce que ce ne sont pas plutôt les illusions qui ont été perdues ?
Lorsque, à la fin des années 1960, j’ai eu l’honneur d’être appelé à diriger la rédaction de Jeune Afrique, toutes sortes de grandes idées, de grands projets, c’est vrai, agitaient
le continent : panafricanisme, négritude, plus tard authenticité
Tout cela, il faut avoir l’honnêteté (et le courage) de le reconnaître, a échoué. Et l’on ne parle plus aujourd’hui, pour reprendre le titre, largement provocateur, d’un livre récent, que de « négrologie ».
Les idéologies proprement africaines se sont donc révélées n’être que des impasses. Les illusions ont été perdues – peut-être pas l’espoir Et même si cela ne nous console guère, il faut constater qu’ailleurs aussi dans le monde on a assisté à la fin de bien des illusions.
Quelques exemples: qui, dans le monde arabe, croit encore à l’unité arabe, au panarabisme ? Personne, pas même Kadhafi ! Sur le plan économique, même désillusion : quel
pays pétrolier a réussi, en trente, quarante ou cinquante ans de manne pétrolière, à créer une économie durable ? En Amérique latine, qui parle encore du panaméricanisme ? En Asie centrale, qui croit encore au panturquisme ?
Qui croit encore, de façon encore plus générale, au socialisme ? Et qui pense sincèrement que le libéralisme, le capitalisme – auxquels pourtant le monde entier semble s’être rallié, de gré ou de force – sont de bons systèmes ? Si « bons » qu’on ne cesse de dénoncer les disparités, les injustices qu’ils engendrent. Sans parler de l’individualisme, si contraire aux cultures africaines, la domination des intérêts particuliers sur l’intérêt général qu’ils suscitent.
Le désarroi idéologique est mondial. Il suffit pour s’en rendre compte d’aller se promener dans ce qui était, il n’y a encore pas très longtemps, la deuxième puissance mondiale : l’Union soviétique. Ne croyant plus au communisme, et pas tout à fait encore au libéralisme, les foules s’y réfugient dans la religion, les sectes, les superstitions. N’est-ce pas aussi ce désarroi qui a entraîné, ici et là, une montée de ce qu’on appelle l’islamisme ?
Revenons à l’Afrique. On se gausse, en Europe, en Amérique et aujourd’hui en Asie, de ses échecs, de son incapacité à surmonter elle-même ses difficultés. Et, après avoir essayé de « vendre » aux Africains toutes sortes de recettes de développement (qui ont toutes échoué), on essaie de leur vendre aujourd’hui l’idée que, sans démocratie, point de salut.
Sans démocratie, point de développement. Je suis un peu étonné qu’on puisse avancer ce genre d’affirmation, au moment où l’on a sous les yeux la preuve du contraire : l’extraordinaire succès économique de la Chine.
Je suis étonné également que, parmi les orateurs entendus ici, aucun n’ait réellement remis en question ce qui est considéré aujourd’hui comme un dogme : « Il faut faire de
la démocratie. »
Pourtant, la démocratie voulue par l’Occident n’est-elle pas parfois dangereuse ? Dans des pays pluriethniques, le multipartisme n’encourage-t-il pas l’ethnicisme, n’exacerbe-
t-il pas le tribalisme ? N’y a-t-il pas eu plus de morts « politiques » en Afrique après qu’on y eut imposé la dissolution des partis uniques qu’avant ? Ne va-t-on pas, de la
même façon, compter bientôt plus de morts en Irak après qu’avant Saddam? Après qu’avant la « démocratisation » à la mode américaine ?
Je suis surpris, enfin, qu’aucun des orateurs qui m’ont précédé n’ait évoqué l’idée d’aller chercher dans le fonctionnement des sociétés traditionnelles africaines des modèles pour aujourd’hui. Qu’on m’autorise à citer, par exemple, les propos tenus, l’an dernier, par l’éminent africaniste Georges Balandier à un journaliste de L’Express (9/10/2003) : « Les colonisateurs ont présenté la palabre comme un mal de l’Afrique, une façon de substituer la parole à l’efficacité. C’est une erreur de jugement. Lors d’une palabre, les représentants des diverses composantes d’une population se réunissent pour élaborer des décisions acceptables par l’ensemble de la collectivité. Ce mode d’argumentation – transposé – seraitplus démocratique que celui de pseudo-Parlements
où les jeux sont faits d’avance et où les rapports d’autorité empêchent de véritables débats. »

* Écrivain et éditeur. Ancien directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

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