Union africaine : le kiswahili, pour quoi faire ?

Publié le 12 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Le concert d’applaudissements au troisième sommet de l’Union africaine (UA) qui s’est tenu à Addis-Abeba en juillet est largement mérité. On y a discuté en toute franchise de problèmes qui fâchent (crises du Darfour, de la RDC et de la Côte d’Ivoire). Un plan stratégique 2004-2007 a été adopté. L’UA est, à l’évidence, un peu mieux que la défunte OUA.
Ce succès est largement dû à l’équation personnelle du président de la Commission de l’Union africaine, l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, homme de poigne et de conviction, et panafricaniste déterminé. Les résolutions prises sont révélatrices de la personnalité de l’homme, mais aussi de son statut. En effet, le président de la Commission de l’Union africaine est un véritable homme d’État, avec des coudées bien plus franches que les anciens secrétaires généraux de l’ex-OUA, considérés comme de simples fonctionnaires un peu favorisés, et, de ce fait, traités avec condescendance par les chefs d’État et de gouvernement. Dans une Afrique amorphe, Konaré apporte une bouffée d’air frais qui, pour peu que les États « qui comptent et qui pèsent » (Afrique du Sud, Algérie, Nigeria, RDC…) lui apportent leur soutien, pourrait ouvrir des perspectives de changements heureux.
Cependant, il faut à Konaré un peu « oublier » sa qualité d’ancien chef d’État. Il a, en effet, tendance à s’écouter un peu trop et, donc, à moins écouter les autres, notamment les gestionnaires. Ainsi s’inscrit dans le registre des actions à l’efficacité aléatoire l’adoption du kiswahili comme langue officielle de l’Union africaine.

De l’ancienne OUA, l’UA a déjà hérité du français, de l’anglais, de l’arabe et du portugais. Il s’y ajoute maintenant le kiswahili. Avant de recommander la prise de cette décision, le président de la Commission aurait dû discuter de ses implications avec les acteurs de la « machine administrative » pour savoir que, si l’on n’y prend garde, le département de traduction et d’interprétation est le plus budgétivore dans toutes les organisations internationales. Il risque d’engloutir une grande partie des fonds, rien que pour produire des documents jetés dans les poubelles pour ne pas causer d’excédents de bagages aux délégués.
De plus, flatteuse pour les kiswahilophones, cette décision est frustrante pour les locuteurs des autres grandes langues de communication africaines : le haoussa et le(s) peul(s) notamment. Au lieu d’accroître le nombre des langues officielles, il fallait les réduire à deux ou à trois : l’anglais, l’arabe et le français. L’anglais et le français présentent l’inconvénient d’être les langues des anciens colonisateurs. Mais ils ont le précieux avantage d’être pratiquées par tout le monde sur le continent. A contrario, très nombreux sont ceux qui ne comprennent pas le kiswahili.

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Les Africains pourraient bien avantageusement s’inspirer des Américains et des Canadiens qui ont enrichi (et donc modifié) les langues de leurs anciens colonisateurs, au point qu’aujourd’hui on ne dit plus « anglais » en parlant de la langue des sujets de l’Oncle Sam mais « américain ». Les Canadiens ont fait de même, non seulement avec l’anglais, mais aussi avec le français : le français canadien est « exporté » et défendu bec et ongles dans les instances francophones qui ont dû admettre qu’il y existe une langue française différente de celle revêtue de l’estampille de l’Académie française. La féminisation des articles et des titres leur est due, de même que l’introduction de nombreux mots : Ainsi, « Madame la ministre, ancienne rectrice de l’université Unetelle, a cancellé la réunion d’hier parce que les organisateurs ont omis d’inviter madame la professeure Unetelle, auteure de plusieurs ouvrages sur la foresterie ».
Imaginons ce que seraient le français et l’anglais, tropicalisés, africanisés, enrichis par le génie inventif des locuteurs du continent, et dont la vitalité s’exprimerait annuellement par un « complément africain » des dictionnaires édités à Paris et à Londres !
Dans les instances internationales, on pourrait s’en féliciter ou s’en plaindre, mais bon gré mal gré l’africain, ou, pour parler « anglais », « the african », s’imposeraient très rapidement. Avec, en plus, d’appréciables économies dans le budget de l’Union africaine.
L’enlisement de l’Afrique ne résulte pas de l’absence de plan stratégique. L’un des graves problèmes dont souffre le Continent, c’est la mauvaise gestion. Celle-ci ne signifie pas seulement prévarication, détournement ou corruption, mais aussi mauvaise orientation des dépenses. Il faut craindre que l’adoption du kiswahili comme langue officielle de l’UA relève de ce dernier registre.

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