SBY attendu au tournant

Premier chef de l’État élu au suffrage universel, le général Susilo Bambang Yudhoyono saura-t-il répondre aux espoirs placés en lui ?

Publié le 11 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

Pour la première fois, les Indonésiens ont élu un président au suffrage universel direct et lui ont donné un mandat impératif de changement. Le général Susilo Bambang Yudhoyono entrera en fonction le 20 octobre : jamais, depuis Sukarno, un président n’avait bénéficié d’une telle légitimité.
La question qui se pose maintenant est de savoir quel président il sera. Quelles sont ses priorités ? Qu’attend de lui l’opinion indonésienne ? Que pourra-t-il apporter ?
Il est difficile de tirer des conclusions d’une campagne très fortement personnalisée et au cours de laquelle on a escamoté à peu près tous les problèmes. Seul un document officieux a déclaré que Yudhoyono méritait d’être élu parce qu’il était solide, efficace, visionnaire, fin stratège, réformateur, propre, responsable, patriote, dévoué, sociable et séduisant.
Tout juste sait-on que le nouveau chef de l’État s’est prononcé en faveur de créations d’emplois, de réformes juridiques et d’un enseignement plus accessible à tous, mais sans entrer dans le détail. Les premières indications sur ces différents points seront fournies par le choix de ses collaborateurs. S’il fait appel à des personnalités de haut niveau, comme cela est probable, pour l’économie comme pour l’éducation et la justice, alors on pourrait très bien voir s’engager d’importantes réformes.
D’autres points sont plus douteux.

Corruption
Yudhoyono s’est engagé à en finir avec la corruption. Plus facile à dire qu’à faire, surtout si certains ministères traditionnellement « ripoux » comme les Transports et la Communication doivent être confiés à des alliés politiques. Il pourrait désigner un ministre de la Justice plein de zèle afin d’engager des poursuites dans certaines affaires de corruption au plus haut niveau, mais il se peut aussi qu’il ne veuille pas se faire d’ennemis politiques dès ses premiers pas.

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Terrorisme
S’il est probable que Yudhoyono décidera de renforcer la coopération entre les services, il n’est pas certain qu’il interdise la Jemaa Islamiyah ou qu’il considère qu’il faille prendre des mesures exceptionnelles. Il sera soumis aux mêmes pressions que ses prédécesseurs par la communauté musulmane conservatrice, qui craint que des mesures antiterroristes ne rejaillissent sur l’image de l’islam, et par les partisans de réformes politiques, qui ont peur, eux, qu’un durcissement des conditions d’arrestation et de détention ne porte atteinte aux libertés civiques si durement conquises.

Sécurité
Il ne faut pas s’attendre à de grands progrès de ce côté. Le général avait une réputation de réformateur dans l’armée, et il a reconnu la nécessité d’un contrôle civil. Mais il est déjà revenu sur ses déclarations antérieures en faveur de la suppression progressive de la structure territoriale du commandement et ne s’est pas prononcé clairement sur la question de savoir si les militaires devaient dépendre du ministère de la Défense ou s’ils devaient rester, comme c’est le cas actuellement, sous l’autorité directe du président.
Yudhoyono devra agir rapidement pour calmer les préoccupations de la police et confirmer qu’il n’a pas l’intention de réduire ses responsabilités en matière de sécurité intérieure. La rivalité exacerbée qui existe entre la police et l’armée reste un sérieux problème, et bon nombre de policiers ont soutenu pendant la campagne électorale la présidente Megawati Sukarnoputri parce qu’ils s’inquiétaient des liens de Yudhoyono avec l’armée.

L’ACEH
Yudhoyono ne va probablement pas interrompre brutalement les opérations militaires dans cette région rebelle ni renouer des négociations. Mais il pourrait lui accorder plus d’attention que ne le faisait Megawati, faire davantage de déplacements dans la région et consacrer plus de temps aux problèmes fondamentaux de gouvernance. Ce serait un progrès, mais il ne faut pas s’attendre à des gestes spectaculaires à propos de ce conflit qui dure depuis des années.

DÉCENTRALISATION
Le nouveau président est favorable à l’amendement des deux lois d’autonomie régionale qui ont entraîné un transfert massif du pouvoir politique et fiscal du gouvernement central à quelque 450 districts.
Ce transfert a été globalement positif, mais il a aussi été marqué par une confusion juridique, une absence de réglementation et, parfois, par une aggravation de la corruption. L’opération reposera sur un dosage politique délicat entre Djakarta et les administrations locales, et ce sera un test pour Yudhoyono.
Le problème est que le nouveau président n’est pas homme à prendre des risques et que, malgré l’image qu’il s’est donnée pendant la campagne, il n’a pas une grande vision de l’avenir. Personne ne doit s’attendre à des mesures hardies. Yudhoyono devra aussi travailler avec un Parlement où son petit parti ne dispose pas de la majorité. Saura-t-il nouer les alliances et passer les compromis indispensables ?
Le meilleur scénario est qu’il fera des progrès lents mais réguliers dans les trois secteurs que son équipe juge prioritaires, qu’il prouve, en étant un président actif et ouvert, que les sceptiques avaient tort, et qu’à la fin de son premier mandat il laisse un pays plus propre, plus sûr et plus riche. Le pire scénario serait qu’il vive à la petite semaine, comme son prédécesseur.
Pour le moment, les Indonésiens doivent se réjouir non seulement de la victoire de Susilo Bambang Yudhoyono, mais aussi de la leur propre en ce que la relève de la garde s’est déroulée dans d’excellentes conditions.

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*Sidney Jones est le spécialiste de l’Asie du Sud-Est à l’International Crisis Group.

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