Salah Stétié

Poète, écrivain, ancien ambassadeur du Liban à l’Unesco, au Maroc et aux Pays-Bas

Publié le 12 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Qui n’a, un jour, éprouvé le bonheur d’accueillir dans sa ville, sur sa terre, dans son bureau ou… dans sa langue un voyageur venu de loin, dont la curiosité ardente ressuscite chez le sédentaire des saveurs affadies par un trop long séjour ? Salah Stétié est celui-ci, qui nous rend visite.
Poète, écrivain traduit dans plus de vingt-cinq pays, traducteur de l’arabe, fondateur d’un hebdomadaire culturel (L’Orient littéraire), diplomate (il a été le délégué permanent du Liban à l’Unesco avant d’être son ambassadeur au Maroc et aux Pays-Bas), musulman sunnite élevé dans une école chrétienne, ce « grand itinérant du songe et de l’action » né à Beyrouth il y a trois quarts de siècle et installé près de Paris n’est contenu dans aucune des identités qui sont encore les siennes aujourd’hui, et qu’il ne cesse d’animer avec une passion intacte.

Nul doute que si Bernard Pivot ne l’a pas encore invité à la télévision dans son émission Double je – parmi d’autres étrangers qui ont ajouté la langue et la culture françaises à leur culture originelle -, c’est parce que, dans le cas de ce grand francophone, le « je » n’est pas seulement double mais triple, voire sextuple ! Pour ceux qui voudraient à tout prix qualifier Salah Stétié d’un mot, il leur faudrait choisir celui qui les embrasse tous : l’humaniste. Et qu’à cela ne tienne, s’il est parfois boudé par le petit écran (« Tous les écrivains arabes pâtissent du fait que leur image répercute dans l’inconscient collectif occidental le trouble dont ils souffrent »), Stétié s’en console volontiers en constatant que son nom figure non seulement dans le dictionnaire Robert, mais aussi, depuis peu, dans ce fameux Petit Larousse « qui sème à tous vents ».

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On pourrait presque faire un livre avec la seule bibliographie des ouvrages qu’il a publiés (parmi lesquels, en 2001, une magistrale biographie de Mohammed) et ceux qu’on a écrits sur lui avant ces Fils de la Parole (le dialogue spirituel et littéraire d’un « poète d’Islam en Occident » avec la philosophe Gwendoline Jarczyk), qui viennent de paraître chez Albin Michel. Comment s’en étonner, s’agissant d’un Méditerranéen des deux rives pour qui tous les Sémites, qu’il s’agisse de ses frères arabes ou de ses ennemis israéliens, sont d’abord « des marchands de mots » ?
À l’instar de tant d’intellectuels arabes exilés en Europe ou aux États-Unis, Salah Stétié a choisi de « s’installer dans la langue de l’autre en s’éloignant de ses lecteurs d’origine » pour mieux s’adresser à eux en toute liberté : c’est la réalité politique et économique, tant celle du monde arabe que de la société globale, qui est à l’origine de ces déplacements. Les poètes, les écrivains, les penseurs arabes « éprouvent aujourd’hui la nécessité de se mettre à l’abri dans une civilisation étrangère, même si elle leur est hostile ». Et Salah Stétié, « se sentant d’une langue comme on est d’un pays », a, quant à lui, « choisi la France, pays de sa langue… »
Il déclare sans réserve sa flamme à cette langue française « favorable aussi bien à la dissociation des idées et à leur reconstruction qu’à l’épanouissement ou à l’explosion des affects liés à l’inspiration poétique ou romanesque. […] La francophonie est une culture, une civilisation, un mode de vie, une communauté humaine. Tout cela relié par la pratique et l’amour d’une même langue. »

Il se montre en revanche nettement plus critique s’agissant des Français eux-mêmes : « Ils devraient être plus humbles et cesser de jouer les grandes coquettes. Le pays de Proust, d’Apollinaire, des surréalistes et de tant de créateurs a déjà disparu. À Saint-Germain-des-Prés, l’inspiration est de plus en plus rarement au rendez-vous. Alors, qu’on en finisse avec une attitude qui est davantage un péché de nostalgie qu’un péché d’orgueil ! La France n’a plus aucun titre qui l’autorise de nos jours à monopoliser une « exception culturelle » dont bien d’autres nations pourraient se prévaloir. » Et l’ancien ambassadeur à l’Unesco qu’est Salah Stétié n’a pas peur de conclure par une sentence iconoclaste : « D’ailleurs, puisque l’exception culturelle n’a plus aucun sens, j’aimerais qu’on abolisse cette expression ! »

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