Robin des Bois du delta ?

Moujahid Dokubo-Asari enflamme le sud-est du pays. Abuja, incapable de stopper ses miliciens, mi-rebelles, mi-gangsters, s’est résigné à négocier.

Publié le 12 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

C’est un voleur et un hors-la-loi. Pourtant, Moujahid Dokubo-Asari a été reçu, le 1er octobre, à Abuja, par des représentants du président Olusegun Obasanjo, en tant que chef des Forces volontaires de défense du peuple du delta du Niger (NDPVF). C’est le seul moyen que le pouvoir central a trouvé pour mettre fin aux agissements de sa milice, étonnamment bien entraînée et armée, qui pille les oléoducs et attaque les barges de forage pétrolier depuis presque deux ans dans l’État de Rivers, au sud-est du pays.
Mais Abuja a tenir compte d’une certaine popularité de Dokubo-Asari dans la région. En siphonnant les oléoducs pour revendre le pétrole à bas prix au marché noir, sa milice est en phase avec une aspiration populaire, celle d’un partage plus équitable des revenus pétroliers. Et pour parfaire son image, il n’a pas hésité à ajouter à sa qualité de chef de gang celle de militant du droit à l’autodétermination des Ijaws, qui représentent une dizaine de millions d’âmes dans la région, et à réclamer l’organisation d’une conférence nationale souveraine.
D’Abuja, il est reparti avec quelques promesses, notamment celle d’une reprise des discussions prévue le 8 octobre. Moyennant quoi il s’est engagé non seulement à un cessez-le-feu, mais aussi à désarmer et dissoudre sa milice.
Savant mélange de Robin des Bois moderne et de gangster opportuniste, Moujahid Dokubo-Asari est apparu sur le devant de la scène le 28 janvier dernier, en publiant un communiqué demandant aux ambassades étrangères d’évacuer leurs ressortissants et déclinant toute responsabilité pour « le mal qui pourrait leur être fait ». Depuis déjà des mois, il guerroyait dans la région contre la police, les bandes rivales et, surtout, les installations pétrolières, rançonnant leur personnel à l’occasion.
Face à ces troubles, l’inaction de l’État de Rivers a été vivement critiquée par la presse d’opposition, qui a suggéré d’éventuels liens, par le passé, entre Dokubo-Asari et le gouverneur Peter Odili – ce que ce dernier, membre du People’s Democratic Party (PDP, au pouvoir), a formellement démenti.
La recrudescence de la violence a en tout cas contraint la compagnie RoyalDutchShell à réduire de 28 000 barils ses prévisions de production quotidienne au second semestre 2004, et à évacuer deux cents employés. Déjà l’an passé, pour les mêmes raisons, elle avait dû limiter sa production à 320 000 barils par jour, contre 1 million en temps normal. Les italiennes ENI et Agip, l’américaine ChevronTexaco et la française Total suivent de très près l’évolution de la situation.
Pour répondre à leurs demandes, Obasanjo a obtenu du Conseil national d’État – un organe consultatif qui regroupe les trente-six gouverneurs, le président du Sénat et le speaker de la Chambre des représentants – le pouvoir d’utiliser tous les moyens possibles pour lutter contre les milices armées. S’est alors engagé un épuisant chassé-croisé entre les NDPVF et l’armée fédérale, qui a fait des centaines de morts. En juin, Dokubo-Asari a pris brièvement le contrôle de sa ville natale, Buguma, à moins de 100 kilomètres à l’est de la capitale du Rivers, Port-Harcourt. L’armée l’en a délogé une première fois, mais la pression des miliciens l’a contrainte à redoubler de vigilance.
Moujahid Dokubo-Asari et ses hommes connaissent parfaitement le terrain, sont rompus aux déplacements en zone marécageuse et bénéficient, dans une certaine mesure, du soutien de la population. Intelligent, cultivé, le chef des NDPVF s’est converti à l’islam – il en a profité pour changer de nom – et s’était affirmé partisan d’Oussama Ben Laden au moment où celui-ci devenait l’icône des ennemis de l’Occident et des États-Unis, gourmands en pétrole. Une image bien calculée, pour une région où l’irrédentisme est endémique et où les gens souffrent des nuisances des compagnies pétrolières américaines.
Alors qu’il y a quelques mois Dokubo-Asari affirmait être à la tête d’un groupe de 2 000 combattants, il en revendique maintenant plus de 200 000. Fanfaronnade ? Oui et non. Il sait utiliser le soutien populaire dont il dispose. Des villageois n’hésitent pas à lui prêter main-forte pour des batailles éclairs. Il s’est constitué une « clientèle » – comme les pêcheurs -, à laquelle il vend sa protection contre les pirates ou les autres gangs. Il retourne à son avantage l’impression d’état de siège provoquée par la présence intimidante de l’armée. La situation est suffisamment tendue pour que le peu de propagande des NDPVF ait un impact non négligeable. Villageois et pêcheurs sont maintenant unanimes pour dire que les gangs devraient cesser leurs luttes intestines et s’allier pour imposer au gouvernement des mesures, par exemple contre la colossale pollution des eaux.
Lancée le 4 septembre, l’opération militaire Flush Out 3 a échoué à anéantir la milice, et le gouvernement Obasanjo s’est finalement empressé de calmer le jeu lorsque, le 27 septembre, elle a directement menacé de s’en prendre aux compagnies pétrolières. Si la production n’était pas interrompue au 1er octobre, les NDPVF promettaient de lancer une opération baptisée Festin de sauterelles, qui prétendait « libérer la région » et « déclencher une guerre totale » contre le pouvoir.
L’ultimatum a été pris très au sérieux par le gouvernement, d’autant que le Festin de sauterelles aurait coïncidé avec le quarante-quatrième anniversaire de l’indépendance du pays. La manoeuvre a donc porté ses fruits : Dokubo-Asari a été invité à Abuja, y gagnant le statut de leader d’opinion, presque un « rebelle » !

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