N’en déplaise aux Français…

Publié le 11 octobre 2004 Lecture : 2 minutes.

Il y a deux choses qui me gênent dans la manière dont on s’emploie, en France, à obtenir la libération des journalistes français. De la première, je vous parlerai à la fin de ce texte. Mon autre réticence provient de ce que, pour obtenir cette libération, on insiste beaucoup sur le fait que nous, Français, ne méritons pas cela : car nous ne sommes pas du côté des Américains !
Dire cela, c’est donner raison à George W. Bush quand il affirme que « qui n’est pas avec nous est contre nous ». C’est aussi, et c’est encore plus grave, donner un gage au fanatisme. L’ensemble des médias vont dans le même sens quand ils en viennent à citer cette fatwa du cheikh Mehdi al-Soumaydaï, imam salafiste irakien, qui appelle « le groupe qui détient les journalistes français à les libérer immédiatement et à ne pas leur porter atteinte, en reconnaissance pour la position de la France en Irak ». Revendiquer le soutien d’un imam salafiste, c’est se soumettre à l’ennemi.
Car l’ennemi, c’est l’intolérance qui justifie que l’on massacre au nom de Dieu. N’ayons aucune complaisance ni pour l’extrémisme islamique, ni pour ces chrétiens d’extrême droite qui veulent imposer aux États-Unis des idées obscurantistes, ni pour les disciples juifs de Meir Kahane, comme Barouch Goldstein qui, il y a dix ans, a massacré vingt-neuf Palestiniens en prière dans une mosquée. C’est cette intolérance qui entretient le développement de cette guerre d’un autre âge que nous voyons naître sur la planète entière.
Et, n’en déplaise aux Français, dans cette guerre, ceux qui attaquent notre civilisation de manière frontale ce sont les islamistes, que nous sommes trop nombreux à confondre avec les musulmans.
J’ai bientôt 60 ans et je connais le monde arabe, musulman mais aussi chrétien depuis ma petite enfance. J’aime ces femmes et ces hommes parce que je me sens proche d’eux, parce que j’ai trouvé chez eux mes meilleurs amis. Dans les années 1970, travaillant au Maghreb, j’ai espéré que le xxie siècle serait celui du monde arabe. J’ai cru les nationalismes arabes capables de construire un espace commun qui donnerait à l’ensemble des pays du Maghreb et du Moyen-Orient le rôle mondial que méritaient ces élites que je voyais arriver aux commandes de leurs pays respectifs. Je l’ai cru, et je me suis trompé.
Ce sont les forces les plus rétrogrades qui sont montées en puissance. Qui se souvient de ces théologiens musulmans modernistes du début du xxe siècle ?
L’Occident a certes sa part de responsabilité dans cet échec. Il a toujours soutenu, pour le pétrole, le régime wahhabite de l’Arabie saoudite. Il a renforcé, contre les Soviétiques, les fondamentalistes musulmans en Afghanistan. Il a systématiquement affaibli les mouvements nationalistes arabes, quand il estimait que ceux-ci constituaient une menace pour Israël. Mais le monde arabe lui-même est également responsable de son incapacité à se réformer et à accepter la modernité.
Ne pas lutter contre le fondamentalisme islamique c’est rendre le plus mauvais service à nos amis arabes. Intéressons-nous à ces gens du peuple arabe, plutôt qu’aux imams salafistes, et parlons par exemple de Mohamed al-Joundi. Vous ne savez pas qui il est ? C’est normal, il n’intéresse presque personne chez nous. C’est le troisième otage, le chauffeur syrien des deux journalistes. À l’heure où j’écris ces lignes, sa vie aussi est en danger.

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