L’axe Alger-Tunis

Tirant les leçons du coma profond dans lequel l’UMA, l’organisation régionale, se trouve plongée, les deux pays jouent désormais la carte de la coopération bilatérale. Dans tous les domaines.

Publié le 12 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

« Entre nos deux pays, c’est l’accord de partenariat stratégique le plus abouti depuis l’indépendance », pavoise Abdelkader Messahel, ce 30 septembre. Le ministre délégué aux Affaires africaines et maghrébines vient de raccompagner à l’aéroport le chef du gouvernement tunisien, Mohamed Ghannouchi, au terme de sa visite officielle de quarante-huit heures en Algérie, et beaucoup s’interrogent. S’agit-il d’un simple propos de circonstance à l’issue de la réunion de la Haute Commission mixte dont Messahel a été le principal artisan ? Ou d’une manifestation d’optimisme béat ? Chacun sait que l’UMA, l’Union du Maghreb arabe (1), reste plongée dans un coma profond. Que l’escalade verbale entre Alger et Rabat à propos du conflit du Sahara occidental(2) est un phénomène récurrent. Que, depuis la dernière tentative de putsch contre le président mauritanien Maaouiya Ould Taya, Nouakchott et Tripoli se regardent en chiens de faïence. Et que seule la Tunisie, placée bien malgré elle au centre géographique de cette zone de turbulences, s’efforce vaille que vaille d’entretenir de bonnes relations avec ses voisins et partenaires. Pourquoi, dans ces conditions, la dernière session de la Haute Commission mixte, la quatorzième du genre, serait-elle plus importante que les précédentes ?
Pour le Premier ministre tunisien, « il s’agit de hisser les relations économiques à la hauteur de l’excellence des rapports politiques ». Il est vrai que, ces dernières années, les Algériens ont eu quelque peu tendance à oublier que, de tous les pays maghrébins, la Tunisie a été le seul à jouer franc-jeu en matière de lutte antiterroriste. « Pendant la décennie sanglante, la frontière terrestre avec la Tunisie n’a jamais servi à approvisionner les maquis islamistes, commente un officier des services de renseignements. Par la suite, cette donnée essentielle a malheureusement été occultée et l’on s’est mis à reprocher aux opérateurs tunisiens de profiter unilatéralement des conventions douanières dans le cadre de l’UMA. »
Cette méfiance des Algériens à l’égard de leurs voisins orientaux a pesé très négativement sur le volume des échanges commerciaux (moins de 300 millions de dollars par an) et freiné le rythme des investissements. Les quelques initiatives lancées à la fin des années 1980, dans l’euphorie du lancement de l’UMA, en ont également beaucoup souffert. En 2003, quatre sociétés industrielles mixtes ont été contraintes de mettre la clé sous la porte, faute d’engagement de part et d’autre. « Il fallait absolument bloquer ce processus de régression », tranche Messahel.
L’action maghrébine multilatérale étant ce qu’elle est – à peu près inexistante -, la diplomatie algérienne mise désormais sur la Tunisie. « Il s’agit de mettre en synergie le savoir-faire tunisien et la « surface » financière de l’Algérie, de manière à développer les régions frontalières, l’objectif étant, à terme, de mettre en place un espace d’investissement direct », analyse un expert algérien.
L’importance de cette quatorzième session tient sans doute moins au nombre des conventions de coopération et des accords signés entre Ghannouchi et Ahmed Ouyahia, son homologue algérien, qu’au fait que les deux parties se soient mises d’accord sur une approche commune des problèmes. « Pourquoi construire une nouvelle école dans un village frontalier, s’interroge notre interlocuteur, quand il en existe déjà une, à quelques centaines de mètres de là, en territoire tunisien ? » Est-ce à dire qu’il soit favorable à une disparition des frontières ? À une sorte d’union comme en rêvait, il n’y a pas si longtemps, le « Guide » de la Jamahiriya libyenne ? « Pas du tout. Nous voulons que l’Algérie et la Tunisie jouent au Maghreb le même rôle que le couple franco-allemand en Europe : celui d’une locomotive. » Reste à savoir comment.
La question se pose d’autant plus que les documents signés le 29 septembre sont plutôt avares en objectifs chiffrés. « Notre ambition est de mettre en place une stratégie de développement commune qui servira de modèle à nos relations bilatérales futures, répond Messahel. Il n’a pas été question de fixer un seuil minimal d’investissements ni un volume d’échanges, mais de créer des synergies. Nos deux économies sont complémentaires, mais on ne peut se contenter de recenser le nombre d’habitants de Tabarka ou d’El-Kef qui vont faire leurs courses à Annaba ou à Souk Ahras. Ni le nombre de familles algériennes qui passent le week-end à Tunis ou à Hammamet et font exploser le taux d’occupation des hôtels. »
Pour sympathique qu’il soit, ce discours n’en comporte pas moins quelques incohérences. Comment expliquer, par exemple, que la Sonatrach prospecte de nouveaux gisements pétroliers en Amérique latine ou au Yémen et soit totalement absente de l’offshore tunisien ? Comment justifier le retard pris dans la négociation entre les deux pays du projet de dédoublement du gazoduc Franco Mattei, qui relie le gisement de Hassi R’mel à la Sicile et à la Slovénie, via la Tunisie ? « C’est pour répondre à ces attentes que ce partenariat doit être mis en place », plaide Messahel. « Nous sommes sur le bon chemin », renchérit Ouyahia. Acceptons-en l’augure.
En attendant des jours meilleurs, seize investisseurs privés tunisiens sont actuellement présents en Algérie, où ils gèrent une trentaine d’entreprises employant plusieurs centaines de salariés. De même, une vingtaine d’entrepreneurs algériens ont créé une PME en Tunisie. Au total, plus de trente mille ressortissants des deux pays ont choisi de vivre de l’autre côté de la frontière. Bien sûr, les problèmes consulaires ne manquent pas, mais ils paraissent bien dérisoires comparés à l’ampleur des perspectives de développement commun. Car il ne faut pas s’y tromper : entre Alger et Tunis, un nouvel axe est né.

1. Ensemble régional regroupant l’Algérie, la Libye, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie.
2. Territoire que se disputent le royaume chérifien et les indépendantistes du Polisario soutenus par l’Algérie.

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