Laura Milo, prisonnière d’opinion

Née en France, installée à Tel-Aviv depuis 1997, elle a choisi d’être fidèle à ses idéaux. Et de ne pas servir dans les Territoires occupés.

Publié le 11 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

« J’ai dit ma vérité aussi fort que je pouvais la dire. Connaissant le comportement de mon pays dans les Territoires palestiniens, il est très difficile pour moi d’être israélienne. Le peuple juif doit avoir un pays à lui, oui, mais pas à n’importe quel prix. Je veux suivre ma conscience. Or les valeurs essentielles, pour moi, sont l’égalité et la justice. »
Née en France de parents israéliens, dotée d’une sensibilité sociale très vive depuis l’adolescence, Laura Milo, 20 ans, est une « prisonnière d’opinion », dixit Amnesty International. Ayant appris à aimer le pays du « rêve sioniste et socialiste » durant ses séjours estivaux, elle découvre, en s’installant à Tel-Aviv, en 1997, les « inégalités sociales » et le « matérialisme des jeunes ». Mais elle s’intègre merveilleusement : Laura occupe aujourd’hui un poste à responsabilités au sein d’un mouvement de jeunesse socialiste très actif dans le soutien aux zones déshéritées et la réinsertion des jeunes délinquants.
Septembre 2000 : la seconde Intifada éclate. Choquée par le comportement violent de Tsahal dans les Territoires occupés, Laura décide qu’elle « ne portera jamais l’uniforme » dans un pays où le service militaire, obligatoire, absorbe deux ans de la vie des jeunes femmes et trois de celle de leurs concitoyens masculins. C’est l’époque où le mouvement des « refuzniks » prend de l’ampleur. Ni objecteurs de conscience au sens traditionnel, ni pacifistes, ces refuzniks refusent de participer à l’occupation – et aux violations des droits de l’homme qui l’accompagnent. Héritiers des réservistes qui, en 1982, ont refusé de servir au Liban, les « refuzniks sélectifs » ont vu leurs rangs s’étoffer. Au début de 2002, des officiers de réserve déclarent qu’ils n’effectueront pas leurs rappels au-delà de la « Ligne verte » séparant Israël des Territoires occupés depuis 1967. L’année suivante, vingt-sept pilotes d’active et de réserve adoptent la même position. Ils sont rapidement rejoints par les plus jeunes : dans une lettre adressée au Premier ministre Ariel Sharon, soixante-deux lycéens expriment leur refus d’être des « soldats pour l’occupation ». Contre toute attente, les signataires de cette missive sont aujourd’hui trois cents. En septembre dernier, cinq d’entre eux – les plus radicaux – ont été libérés après deux ans d’emprisonnement. Car les peines se sont alourdies. Des objecteurs ont été traînés devant les tribunaux militaires. Depuis septembre 2000, estime Amnesty International, deux cent quatre-vingts refuzniks auraient été emprisonnés.
Laura Milo est la première femme israélienne à s’être déclarée refuznik sélective. C’était à l’automne 2003. Jugeant que cette raison de conscience est d’ordre politique, le comité ad hoc de l’armée la condamne à une première peine de quatorze jours d’emprisonnement. Laura conteste cette interprétation : « Je ne combats pas l’armée. Je n’essaie pas d’influencer les décisions du gouvernement israélien. Mon refus n’est donc pas politique. Ma politique à moi, c’est l’éducation de jeunes en difficulté. » En appel, pourtant, la Cour suprême de justice qualifie son comportement de « désobéissance civile » et confirme la sentence. Après une incarcération supplémentaire de deux semaines, Laura attend aujourd’hui – en liberté – une réponse à sa demande d’audition par un panel élargi de la Cour suprême. « Je ne suis pas très optimiste, reconnaît-elle, je ne crois pas que j’échapperai au service militaire pour raisons de conscience. » Elle a pourtant reçu des soutiens inespérés, comme celui du maire (de droite) de la ville de Yerucham, dans le sud du pays, où elle a travaillé, et prestigieux, comme celui de l’ancien ministre de la Justice Amnon Rubinstein.
Eût-elle plaidé le pacifisme – possibilité réservée au seul sexe féminin – ou la foi religieuse – ouverte aux hommes et aux femmes – qu’elle aurait été exemptée sans difficulté. Se fût-elle montrée moins radicale qu’elle aurait accepté l’échappatoire que lui offrait l’armée : effectuer un service civil. Mais elle souhaite aller le plus loin possible, tout en refusant d’avance l’idée d’une incarcération dont la durée pourrait atteindre deux ans : « Je suis très lasse. Je pourrais demander mon exemption pour raisons psychologiques. On ne sert pas le monde derrière les barreaux. Et j’ai beaucoup de rêves à réaliser. »
La jeune femme sait bien que son destin, désormais, la dépasse : « En m’emprisonnant, ils font de moi un exemple. » De fait, le gouvernement israélien est sans doute embarrassé. D’un côté, il s’efforce de défendre l’autorité de l’État. Accorder l’exemption à Laura le placerait en porte-à-faux : les colons extrémistes qui menacent de s’opposer au retrait de Gaza invoquent, eux aussi, leur « conscience » pour exiger une dérogation à la loi commune. D’un autre côté, on comprend mal que Laura ait été emprisonnée pour avoir « dit sa vérité », alors que des soldats coupables d’exactions dans les Territoires ne sont pas sanctionnés et que de nombreuses exemptions pour pacifisme ou foi religieuse dissimuleraient un refus – silencieux – de participer à l’occupation. Enfin, Laura s’est attiré la sympathie des Israéliens laïcs, exaspérés par les privilèges des religieux, au premier rang desquels… l’exemption automatique de service militaire. Pourquoi eux, et pas elle ?
Ayant relancé le débat sur ces enjeux essentiels pour l’avenir de son pays, la jeune femme s’avoue confiante… à terme : « Ma génération est apathique ; le bourrage de crâne et la paranoïa juive fonctionnent. Mais nous finirons bien par quitter les Territoires palestiniens. Nous n’aurons pas le choix. »

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