La francophonie boudée ?

En sacrant l’Autrichienne Elfriede Jelinek, les jurés suédois ont encore oublié les écrivains d’expression française, bredouilles depuis vingt ans.

Publié le 12 octobre 2004 Lecture : 2 minutes.

Bonne nouvelle : le prix Nobel de littérature a été pour la dixième fois (sur quatre-vingt-dix-sept) attribué à une femme, la romancière et dramaturge autrichienne Elfriede Jelinek (voir encadré). Mauvaise nouvelle : la littérature francophone manque une nouvelle fois la suprême et lucrative (plus de 1 million d’euros) récompense. Certains avaient espéré l’élection de l’Algérienne Assia Djebar (La Femme sans sépulture ; L’Amour, la Fantasia ; La Disparition de la langue française…). Leur déception est d’autant plus grande que, depuis vingt ans et le sacre de l’écrivain Claude Simon (1985), la francophonie semble avoir disparu des listes du prix Nobel. Pourtant, tout avait bien commencé…
Le 10 décembre 1901, le premier prix Nobel de littérature, fondé à titre posthume par l’industriel et chimiste suédois Alfred Nobel (1833-1896), est accordé à un poète français, Sully Prudhomme (1839-1907), confortablement installé sous la coupole de l’Académie française depuis 1881. Puis, jusqu’au milieu des années 1960, il ne se passe guère plus d’une décennie sans que la littérature française reçoive la fameuse distinction. Sont ainsi « nobélisés » les poètes Frédéric Mistral (1904) et Saint-John Perse (1960), le philosophe Henri Bergson (1927), les écrivains Romain Rolland (1915), Anatole France (1921), Roger Martin du Gard (1937), André Gide (1947), François Mauriac (1952) et Albert Camus (1957).
En 1964, le philosophe et romancier Jean-Paul Sartre est le premier à refuser le prix. La presse fait ses choux gras de la polémique qui s’ensuit. Pourtant, il n’y a aucune virulence dans les propos de l’auteur des Mots : « Mon refus n’est pas un acte improvisé. J’ai toujours décliné les distinctions officielles. Lorsque après la guerre, en 1945, on m’a proposé la Légion d’honneur, j’ai refusé bien que j’aie eu des amis au gouvernement. De même, je n’ai jamais désiré entrer au Collège de France, comme me l’ont suggéré quelques-uns de mes amis. […] Ce n’est pas la même chose si je signe Jean-Paul Sartre ou si je signe Jean-Paul Sartre, Prix Nobel. […] L’écrivain doit donc refuser de se laisser transformer en institution même si cela a lieu sous les formes les plus honorables, comme c’est le cas. » Une telle bravade a-t-elle pu refroidir durablement l’Académie suédoise ? Toujours est-il qu’il a fallu attendre plus de vingt ans avant qu’un Français soit de nouveau honoré. Certains objecteront que le Nobel cuvée 2000, Gao Xinjian, est bel et bien de nationalité française. Certes ! Mais toute son oeuvre est écrite en chinois.
Hasard ou choix délibéré ? Difficile de se prononcer. Du côté de l’Afrique, le Nigérian Wole Soyinka (1986), l’Égyptien Naguib Mahfouz (1988) et les Sud-Africains Nadine Gordimer (1991) et J. M. Coetzee (2003) n’appartiennent pas à la sphère francophone. En conclura-t-on pour autant qu’il faut lire dans cette baisse de rythme la traduction d’un déclin de l’influence française ? D’une moindre qualité de la littérature écrite en français ? Sans doute pas : des auteurs comme Nathalie Sarraute et Amadou Hampâté Bâ hier, Jean-Marie Gustave Le Clézio et Aimé Césaire aujourd’hui, pourraient être (ou avoir été) couronnés sans que l’on s’en offusque. Hypothèse plus probable : les jurés Nobel cherchent désormais un plus grand équilibre géographique, politique et culturel… Seul l’ingrat et provocateur George Bernard Shaw (Nobel 1975), qui déclara : « Je peux pardonner à Alfred Nobel d’avoir inventé la dynamite. Mais seul un ennemi avéré du genre humain a pu inventer le prix Nobel », pourrait le leur reprocher.

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