Jean Hélène, un fou d’Afrique

Un an après l’assassinat, à Abidjan, de l’envoyé spécial de RFI et du « Monde » paraît une sélection de ses correspondances. Du travail sobre mais efficace.

Publié le 12 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Quand on rend hommage à un défunt, on s’expose au reproche d’en rajouter. Ferait-on le même éloge de Jean Hélène s’il était encore parmi nous ? L’intelligence de ce livre, c’est de donner la parole à Jean Hélène lui-même. De 1990 jusqu’au jour de son assassinat par un policier ivoirien le 21 octobre 2003 à Abidjan, l’ouvrage rassemble quelque 160 chroniques de l’envoyé spécial de Radio France Internationale et du Monde en Afrique. Plutôt qu’un hommage convenu, ce livre est l’exposé de son travail. Simple mais efficace.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la place des petites gens. Pas un reportage où l’on ne les voit. Kinshasa : « Dans son petit deux-pièces du quartier de Kitambo, Léon héberge depuis six mois son frère chômeur et ses deux filles, chassés de leur logement pour cause de loyer impayé. Quant à l’épouse, elle a dû trouver refuge ailleurs, chez ses parents » (RFI, 6 février 2001). Plus il voyage, plus Jean Hélène s’intéresse aux « petits » et délaisse les « grands ». Dans son dernier reportage de guerre, au Liberia en 2003, il met en avant les civils. Les combattants, il s’en fiche. Monrovia : « Ici les gens ont appris à vivre avec le bruit des rafales et des canonnades. « Je m’en remets à Dieu, il n’y a plus d’endroit sûr au Liberia, alors je préfère rester dans ma maison », dit cette mère de famille assise sur le pas de sa porte » (RFI, 31 juillet 2003).
Chez Jean Hélène, le reporter se fait témoin de la souffrance des hommes. Au Rwanda, c’est si dur qu’il manque de défaillir : « Au pied d’un escalier, une mère semble avoir été touchée dans sa fuite, sa tête est profondément entaillée. À ses côtés, le cadavre de l’enfant qu’elle portait sur le dos. Aller de l’avant les yeux ouverts. Dix corps de femmes enroulés dans leur jupe et trois enfants coincés entre elles. L’odeur devient insupportable. Se couvrir la bouche et le nez avec une étoffe, enjamber cette plate-bande putride et des restes de mains tordues par la souffrance » (Le Monde, 2 juin 1994). À cet instant, Jean Hélène parle de lui. C’est unique chez ce « taiseux » qui ne se plaignait jamais. Pourquoi ? Parce qu’il a vu quelque chose d’indicible. Le génocide. Alors il n’y a plus qu’une chose à faire. Prendre le lecteur par la main et l’emmener avec lui en enfer.
Pour être témoin, il faut un coup d’oeil. Et quel coup d’oeil ! Un camp de réfugiés hutus à Ubundu, Congo-Kinshasa : « Dans la foule, il y a aussi ceux qui ont participé au génocide de 1994, et pour qui un retour au Rwanda signifie la prison et la mort. […] Cette grand-mère, qui a perdu deux de ses enfants « tués par les Tutsis », raconte son histoire comme une leçon bien apprise et regarde du coin de l’oeil notre guide-interprète comme pour lui demander : « Ai-je bien récité ? » » (Le Monde, 14 mars 1997). Jean Hélène n’est pas dupe. Ni de la folie génocidaire des extrémistes hutus, ni de la vengeance meurtrière des dirigeants tutsis du FPR (Front patriotique rwandais). Dès septembre 1994, deux mois après l’arrivée du FPR au pouvoir, il dénonce les premières représailles sanglantes à Kigali : « Peut-on continuer à excuser [ces règlements de comptes] en parlant de « vengeances inévitables après tout ce qui s’est passé », alors que vraisemblablement des centaines, voire des milliers d’innocents en sont victimes ? » (Le Monde, 7 septembre 1994). Jean Hélène, c’est le contraire du dogmatique. À ceux qui l’accusent bêtement de « négationnisme », il oppose sa rigueur de journaliste et son indépendance d’esprit. Il ne dit que ce qu’il voit, mais il dit tout ce qu’il voit. Il est libre.
Dans une introduction très sobre – à l’image de Jean Hélène -, Pierre-Édouard Deldique, également journaliste à RFI, rapporte cette réaction d’un Kinois à l’annonce de son assassinat : « Le journaliste est dans une tour de garde pour déceler les menaces. S’il disparaît, c’est la population qui est en danger. » Depuis sa mort, la violence a redoublé à Abidjan. Les 25 et 26 mars dernier, 120 personnes ont été tuées et 20 autres ont disparu, selon l’ONU, dans la répression d’une marche de l’opposition. Jean Hélène était un grand témoin. Sa mort est une immense perte.

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