Il était une fois en Palestine…

Véritable roman de l’exode palestinien, « La Porte du soleil », de Yousry Nasrallah, sort en France après avoir eu les honneurs des Journées de Carthage.

Publié le 12 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Comment le cinéma peut-il au plus juste restituer l’Histoire avec un grand H ? Et comment peut-il le faire quand il s’agit d’un peuple – les Palestiniens – longtemps confronté à un tel déni historique ? L’ancien Premier ministre israélien Golda Meir n’affirmait-elle pas tout simplement : « Ils n’existent pas » ?
La réponse magistrale à ces deux questions se trouve dans La Porte du soleil, du cinéaste égyptien Yousry Nasrallah, l’un des événements du Festival de Cannes en mai 2004, qui sort à Paris après avoir été projeté en clôture des Journées cinématographies de Carthage, le 9 octobre. Coproduit par l’Égypte et la France (avec le concours décisif de la chaîne de télévision Arte), La Porte du soleil brosse l’histoire de l’exode palestinien, de la veille de la création d’Israël à nos jours, en adaptant le roman éponyme (Bab el-Chams, en arabe) de l’écrivain libanais Elias Khoury.
Croisant avec aisance destins individuels et collectifs, La Porte du soleil conte tout d’abord l’histoire de Younes, combattant les Anglais à 16 ans, puis replié au Liban après la création de l’État d’Israël avant de vivre en clandestin dans son propre pays. Ensuite l’histoire de Nahila, sa femme, restée en Galilée et que Younes vient retrouver secrètement dans la grotte de Bab el-Chams. C’est aussi l’histoire du docteur Khalil qui recueillera à Beyrouth Younes gravement blessé, aussi bien que de celle de Chams, la combattante que Khalil aimait et qui fut exécutée par ses compagnons d’armes.
Cette imbrication des histoires les unes dans les autres permet à Yousry Nasrallah (qui fut longtemps l’assistant de Youssef Chahine) de dépasser la chronique historico-politique classique et le film militant de dénonciation qui ont été longtemps le lot du cinéma palestinien, pour accéder, en retrouvant la grande tradition romanesque arabe des Mille et Une Nuits, à une dimension lyrique et mythique.
Remarquablement interprété par l’actrice tunisienne Rim Turki dans le rôle de Nahila et par la Palestinienne Hiam Abbass dans celui de la mère de Younes, les acteurs libano-palestiniens Orwa Nyrabeya et Bassel Khayyat jouant les personnages de Younes et de Khalil, le film s’ouvre sur une récolte d’oranges en 1943. Une façon de réfuter la fameuse formule sioniste « d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre » qui « réussira à faire pousser des oranges dans le désert ».
La Porte du soleil relate aussi bien les exactions israéliennes que les différentes trahisons arabes. L’exode des Palestiniens chassés de leurs villages au moyen de quelques massacres (reconnus par les nouveaux historiens israéliens avant d’être à nouveau récusés depuis la seconde Intifada) est retracé avec l’ampleur et le souffle des films « bibliques » d’antan. Viennent ensuite les divisions fratricides, les alliances contre-nature, la montée de l’islamisme intolérant et, surtout, une virulente critique du machisme de la société palestinienne… Mais ces thèmes sous-jacents ne transforment jamais le film en oeuvre de propagande attachée à « noircir » les Israéliens.
Longtemps, les cinéastes du Tiers Monde se sont crus obligés de pratiquer un « cinéma militant » au premier degré, dénonçant aussi bien les méfaits de l’impérialisme passé et présent que les abus des nouveaux pouvoirs. Ces oeuvres circonstancielles, malgré leur sincérité, prêchaient souvent des convaincus. À quelques exceptions près, elles ne sont pas restées dans l’Histoire. On sait que, par leur densité et leur complexité, les grands romans de la littérature mondiale ont d’avantage marqué leur époque que les pamphlets politiques les plus cinglants.
Adoptant la même démarche, La Porte du soleil, par son choix de l’épopée romanesque contradictoire et foisonnante (le film divisé en deux parties dure pas moins de quatre heures quarante-huit durant lesquelles on ne s’ennuie jamais), redonne au cinéma politique toute sa richesse, son efficacité… et sa garantie de longévité.
On connaît l’importance des westerns pour la fixation dans l’inconscient collectif des Américains de leur identité. Pour les Palestiniens, c’est le rôle que devraient jouer dorénavant des épopées aussi réussies que celle de Yousry Nasrallah.

Sorti en France le 9 octobre.

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