Hécatombe au sommet de l’armée

Publié le 11 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

La Guinée-Bissau est-elle en passe de devenir la brebis galeuse de l’Afrique de l’Ouest ? Il n’est pas interdit de le penser après les sanglantes mutineries des 6 et 7 octobre. Au cours de ces folles journées de violences, le pouvoir du Premier ministre Carlos Gomes Junior a vacillé, tout comme d’ailleurs le dispositif international mis en place depuis un an par l’ONU, l’Union africaine, la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) pour préserver une paix précaire dans un pays coutumier des insurrections militaires et des tentatives de putsch.

Des militaires lourdement armés ont donc une nouvelle fois envahi les rues de la capitale, Bissau, en lâchant des rafales en l’air, histoire de rappeler que, dans un pays qui a acquis son indépendance de haute lutte, la Grande Muette a encore son mot à dire. Dans un document portant la signature d’un de leurs chefs, le major Bautelante Na Man, les mutins réclament le paiement des arriérés de soldes des mois d’octobre et novembre 2003, le règlement des impayés dus à leurs camarades mobilisés au sein de la Mission des Nations unies au Liberia (Minul). Ils « exigent » des pensions pour les familles de leurs camarades tombés lors de cette opération de maintien de la paix, le remboursement par la hiérarchie « des 44,5 millions de F CFA offerts à leur bataillon par le chef de l’État intérimaire, Henrique Perreira Rosa », ainsi que la normalisation de la situation de leurs camarades impliqués, ces dernières années, dans des opérations de déstabilisation. Quelque 650 militaires bissauguinéens servent, aujourd’hui encore, au sein de la Minul.
Les soldats en colère dénoncent par ailleurs le « manque de circulation de l’information au sein de l’armée », « l’insensibilité des chefs militaires par rapport aux hommes de troupes », les conditions d’existence « inhumaines » dans les casernes, le « haut degré de corruption » de leurs chefs, le clientélisme dans l’attribution des promotions et la « distribution inéquitable des salaires dans l’armée ». Dans la confusion générale qui règne alors dans la capitale, on apprend l’assassinat du chef d’état-major de l’armée, le général Verissimo Correia Seabra, jusque-là considéré comme « l’homme fort » du pays. Tué à bout portant d’une balle dans la tête, alors qu’il négociait, assis dans un canapé, avec les mutins, raconte une source privilégiée, au Sénégal voisin, dont le destin – crise irrédentiste en Casamance oblige – est étroitement lié à celui de l’ancienne colonie portugaise.

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L’adjoint du chef d’état-major connaîtra, lui aussi, un sort identique. Son corps est retrouvé déchiqueté, tout comme ceux du chef des services d’information des armées et de plusieurs autres officiers de haut rang. Jeune Afrique/l’intelligent est en mesure de révéler que ce sont au moins huit officiers (et non pas deux, comme indiqué par les agences de presse) qui, au cours de la seule journée du 6 octobre, ont ainsi été assassinés par des demi-soldes d’une armée loqueteuse et majoritairement composée de Ballantes, l’ethnie de l’ancien président de la République, Kumba Yallah. Pour échapper à la mort, plusieurs autres responsables militaires (notamment le patron de l’armée de l’air) ont préféré se réfugier dans les locaux des ambassades de France et du Portugal, assure la source citée plus haut. « Cela a été une hécatombe. En deux jours, l’état-major de l’armée bissauguinéenne a été décapité. » Non moins grave, les mutins ont menacé de prendre d’assaut la représentation portugaise à Bissau qui a accueilli quatre officiers témoins de l’assassinat du général Verissimo Correia Seabra.

Alors, mutinerie ou coup d’État avorté ? « Il s’agit d’une simple revendication salariale », ont déclaré les soldats, avant de regagner leurs pénates au terme de deux jours de fronde. Le Premier ministre Carlos Gomes Junior, le Portugal et certains diplomates en poste à Bissau sont persuadés du contraire. Le chef du gouvernement a mis en garde « certains responsables politiques », qui, à l’en croire, manipuleraient le mouvement des sans-grade. « La situation est grave, il y a là, à l’évidence, un coup d’État », a déclaré Lisbonne. « Il s’agit en fait d’un coup d’État rampant, qui ne dit pas son nom, corrige un haut responsable de l’Union africaine. C’est classique. C’est le nouveau moyen trouvé par les soldats pour tester le pouvoir politique. Si vous cédez, ils monteront d’un cran, et cela peut se terminer par un coup d’État. » Comme ce fut le cas, en 1999, en Côte d’Ivoire, où la chute du président Henri Konan Bédié a été orchestrée par une poignée de « p’tits gars » en colère, à peine rentrés d’une mission de maintien de la paix en République centrafricaine.
Si le bruit des armes s’est tu, l’instabilité récurrente en Guinée-Bissau est source de préoccupation pour l’ensemble des pays de la Cedeao, déjà en butte à une crise sociopolitique en Côte d’Ivoire. En marge de la conférence des intellectuels africains et de la diaspora, qui s’est tenue du 7 au 9 octobre à Dakar (voir p. 14), plusieurs responsables africains se sont penchés sur les derniers événements. Les chefs de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade, et nigérian, Olusegun Obasanjo, et Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), se sont ainsi isolés, dans la soirée du 6 octobre, pour évaluer les risques de « dérapages » dans ce pays. Selon nos sources, Obasanjo, qui assume, jusqu’en juin 2005, la présidence en exercice de l’UA, se serait même engagé à débloquer une enveloppe d’environ 1 million de dollars pour apurer les impayés des enragés de Bissau. « Ce serait une très bonne chose, assure l’un des participants au fameux huis clos, à condition que le geste de bonne volonté du président nigérian soit intégré à une solution politique globale. Sinon, c’est la porte ouverte à la surenchère… »
En attendant, la Cedeao devait envoyer sur place, le 8 octobre, une mission « d’exploration et d’information ». Celle-ci devait comprendre, outre le secrétaire exécutif de l’organisation d’intégration régionale, le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas, le ministre sénégalais de l’Industrie et de l’Artisanat, Landing Savané, ainsi que le chef d’état-major particulier du président Wade, le général Abdoulaye Fall.

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