Fiançailles confirmées

Publié le 11 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Clauses de sauvegarde et réserves en tout genre n’y changeront rien : la Commission européenne a dit « oui » à la Turquie. Le 6 octobre, elle a recommandé officiellement l’ouverture de négociations d’adhésion avec Ankara.
La décision incombe désormais aux chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne (UE), qui doivent se prononcer sur la base de cet avis le 17 décembre. On les imagine mal désavouer la Commission et renier leurs engagements passés (la Turquie s’était vu reconnaître le statut de pays candidat en décembre 1999, lors du sommet d’Helsinki). Tout au plus le Conseil pourra-t-il essayer de gagner du temps en différant de quelques mois, peut-être jusqu’en juillet 2005, le début de ces négociations pourtant censées s’ouvrir « sans délai » une fois sa décision positive connue.

En France, les adversaires de l’entrée de la Turquie dans l’UE ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : l’UDF François Bayrou, le souverainiste Philippe de Villiers, le chef du Front national Jean-Marie Le Pen ou le socialiste Laurent Fabius estiment qu’il sera trop tard pour organiser un référendum à l’issue des négociations, comme le propose le président Jacques Chirac. « On n’a jamais vu des négociations s’ouvrir sans qu’elles aboutissent à un oui », rappellent-ils, en se référant aux candidatures précédentes.

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Ce qui n’a pas empêché la Commission d’assortir son avis favorable de conditions très strictes à l’égard d’Ankara. D’une part, parce que les sondages révèlent la réticence des opinions publiques européennes à voir 70 millions de Turcs, musulmans pour la plupart, rejoindre l’UE. D’autre part, parce que les réformes adoptées par la Turquie en deux ans seulement, pour importantes qu’elles soient, existent sur le papier, mais ne sont toujours pas entrées en application, et que l’armée, bien que son influence tende à décroître, continue de peser sur la vie publique. Tout en se félicitant de ce qu’Ankara satisfait désormais aux critères démocratiques dits « de Copenhague », la Commission a donc prévu deux verrous de sécurité pour exclure la tentation d’un retour en arrière. Le premier prévoit que les négociations d’adhésion pourront à tout moment être interrompues en cas de « violation grave et persistante des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l’homme et de l’État de droit ». Le second verrou prévoit qu’un chapitre de négociations ne sera clos qu’après vérification de la mise en oeuvre effective des réformes. Ces deux dispositions sont inédites dans l’histoire de l’UE. Alors que cette dernière prétend benoîtement vouloir les appliquer désormais à tous les futurs candidats « pour tirer les leçons du passé », Ankara, vexé, dénonce une politique du « deux poids deux mesures ».
Trois autres dispositions dérogatoires ont été suggérées par la Commission pour répondre aux inquiétudes des pays membres. « De longues périodes de transition pourront être exigées » (notamment dans le domaine de la politique agricole commune et des aides régionales) pour amortir le choc économique de l’entrée de la Turquie dans l’UE. Des clauses de sauvegarde pourront être instaurées pour limiter l’afflux de main-d’oeuvre turque sur le marché européen. Enfin, pour des raisons financières et budgétaires, la Commission préconise que l’adhésion d’Ankara ne se fasse pas avant 2015. Si les Turcs ne voient pas d’objection à ce dernier point et s’ils se montrent globalement satisfaits d’une décision qualifiée d’« étape historique » par le chef de la diplomatie Abdullah Gül, ils se déclarent hostiles à tout nouvel atermoiement concernant la date de l’ouverture des négociations. « Nous avons fait nos devoirs, ironisait le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, à l’UE de faire les siens. » Entendez : respectez vos engagements, y compris celui de nous traiter comme les autres candidats.

Cela n’est certes pas tout à fait le cas. Il reste quelques années pour démontrer que le défi que représente l’adhésion turque est aussi une chance pour l’Europe, sur le plan économique et géostratégique, comme le souligne le rapport annexé à la recommandation du 6 octobre (voir J.A.I. n° 2282).

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