Afghans et Irakiens sur le vif

Fidèle à une méthode qui a fait ses preuves en Tchétchénie, Anne Nivat est partie sur le terrain donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais.

Publié le 12 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Café Les Ondes, à Paris. Anne Nivat, jeans et chemisier noir, a le verbe passionné, parfois rageur. « Je suis une nature curieuse. Il n’y a que les autres qui m’intéressent », lance-t-elle, le regard aigu. Elle a traversé l’Afghanistan de septembre à décembre 2003, puis l’Irak, d’avril à juillet 2004, du Nord au Sud. Douze semaines dans chacun de ces pays meurtris par des régimes sanguinaires et humiliés, aujourd’hui, par l’occupation américaine.
Correspondante du quotidien Ouest-France à Moscou, Anne Nivat collabore régulièrement au New York Times, au Washington Post et à l’International Herald Tribune. Après le best-seller Chienne de guerre (prix Albert-Londres 2000, éd. Fayard) et La Guerre qui n’aura pas eu lieu (2004, même éditeur), la grande reporter française est restée fidèle à une méthode de travail qui a fait ses preuves en Tchétchénie. Partir sur le terrain sans a priori, ne pas se précipiter là où un attentat vient de se produire, mais, au contraire, prendre tout son temps pour comprendre. Et, pour cela, loger chez l’habitant, partager le quotidien des familles, emprunter autobus et taxis communautaires. « Dans un monde qui nous force à aller vite, je revendique le droit à la lenteur. J’écoute, je décris la situation telle que les gens la voient, je dis quelle vision ils ont de nous. Je donne la parole à ceux qui ne l’ont pas. »
Jeunes ou anciens, mollahs ou laïcs, intellectuels ou illettrés, Kurdes, Arabes ou Turkmènes en Irak, Pachtounes ou Tadjiks d’Afghanistan, citadins et villageois, femmes aussi, auxquelles elle a accès, contrairement à ses confrères masculins, tous parlent sans détour. Bon sens populaire (parfois), rejet de l’occupation américaine (toujours), dénonciation de l’insécurité et de l’incurie des institutions provisoires, rivalités ethniques, autant de tranches de vie saisies par un auteur qui se refuse à tout commentaire. Seule transparaît la confiance qui lie la voyageuse à ses interlocuteurs.
« Ils sentent que je les respecte. Lorsqu’ils me voient vêtue comme leurs femmes, ils me demandent aussitôt si je suis musulmane. Je leur réponds que non, mais que je me conforme aux usages de leur pays. Ils comprennent que, dans ce cas, il pourrait en être de même pour eux, en Occident. Il ne s’est pas passé un jour, en Irak, sans que l’on m’interroge sur la loi française interdisant le port de signes religieux à l’école. Preuve que les explications du gouvernement français ont été insuffisantes, puisque les Irakiens étaient persuadés que seul le voile était proscrit. »
La question, en revanche, ne lui a pas été posée en Afghanistan, où l’accès à l’information est bien plus limité qu’en Irak, « pays moyen-oriental moderne, doté d’autoroutes à quatre voies ». Bagdad, pour « laid et bétonné » qu’il soit, n’a rien à voir avec un Kaboul totalement détruit.
Point commun entre les deux pays : leur marche chaotique vers une démocratie imposée par l’Occident, à laquelle nul ne comprend goutte. Partout, on sent des populations comme sidérées par les « progrès » qu’on attend d’elles en aussi peu de temps. Révoltés par l’arrogance américaine, Irakiens et Afghans oscillent entre fatalisme et désillusion. On s’en doutait, certes ; mais rien ne vaut la vérité de ces témoignages au travers desquels Anne Nivat nous livre plus d’éléments de compréhension que ne le ferait une analyse savante.
Ainsi, un policier irakien avoue que certains de ses collègues, désorientés, « font aussi partie des bandes de kidnappeurs ». Ali raconte comment il a coupé, sur ordre d’Ouddaï, le fils de Saddam Hussein, une douzaine de langues et une quarantaine de mains. L’ex-taliban Besmellah, qui veut prendre une seconde épouse, convie la journaliste dans le cercle de famille. Et l’on ne peut s’empêcher de sourire en voyant le général afghan Rachid Dostom, dont la réputation de cruauté n’est plus à faire, humer les fleurs de sa roseraie « où s’affaire une armée de jardiniers en turban et savates ». À propos : le chef de guerre « ose espérer qu’on pensera à [lui] en haut lieu pour le poste de ministre de la Défense. » Voilà le président Karzaï prévenu…

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