Sénégal : Adji Sarr, l’accusatrice d’Ousmane Sonko, porte plainte contre une série qui s’inspire de son histoire
Une série mettant en scène les aventures d’une certaine « Adji Sarr » doit être diffusée à partir de mercredi au Sénégal. La jeune femme, menacée de mort pour avoir accusé de viol le député Ousmane Sonko, a porté plainte pour atteinte à sa dignité.
Pendant plusieurs semaines, elle avait presque réussi à se faire oublier. La jeune femme de vingt ans, qui travaillait au Sweet beauté, un « salon de beauté » de la capitale, avait pourtant fait, des semaines durant, les gros titres. En portant plainte contre le député d’opposition Ousmane Sonko, considéré comme l’un des principaux rivaux du président Macky Sall, Adji Sarr a marqué le début d’une affaire politico-judiciaire qui a précipité le Sénégal dans une vague de troubles et de violences. Depuis le dépôt de sa plainte pour « viols » et « menaces de mort », le 3 mars dernier, la jeune femme ne s’était exprimée qu’une seule fois publiquement, avant de se faire discrète.
C’était sans compter la diffusion, le 9 avril dernier, de la bande-annonce d’une série intitulée « Thiey Adji Sarr ». Publiée sur la chaîne YouTube Kémane vision, une société de production appartenant au marabout Serigne Modou Borom Kemane, la vidéo annonce le lancement d’une mini-série de ramadan. Comme chaque année au Sénégal, ces micro-productions sont diffusées chaque soir tout au long du mois de jeûne, qui vient de débuter. Celle-ci, qui a depuis été rebaptisée « Baline Coumba Baline », devrait être diffusée en ligne et sur la chaîne Walfadjri, selon son réalisateur Badara Fall.
Double plainte
La bande-annonce dépeint plusieurs scènes présentant la série. Le personnage principal, dont le nom « Adji Sarr » est répété plusieurs fois, est dépeint comme une femme aux mœurs légères. Dans l’une des scènes, un jeune homme au volant d’une voiture s’arrête au niveau de l’héroïne. « C’est combien ? », demande-t-il à la jeune femme. « Pour toi, c’est 200 000 [FCFA] », répond la fameuse « Adji Sarr ».
J’ai perturbé le Sénégal, j’ai bouleversé tout le monde
Dans une autre séquence, un homme interpelle la jeune femme : « Je vais te faire coucher avec des hommes de sorte que personne ne veuille t’épouser, je vais te faire voler ce que tu n’as jamais volé, masser quelqu’un que tu n’as jamais massé. »
À la fin de la bande annonce, la jeune femme s’adresse directement à la caméra, sourire aux lèvres : « J’ai perturbé le Sénégal, j’ai bouleversé tout le monde et en chaque endroit, déclare-t-elle. Et je n’ai pas fini de faire bouger les choses. »
Autant de remarques qui font forcément penser à la « vraie » Adji Sarr et qui n’ont pas manqué de faire bondir son avocat. Le 12 avril, Me El Hadj Diouf a annoncé avoir porté plainte auprès du procureur de la République pour atteinte à la dignité et à l’honneur de sa cliente. « Depuis le début de cette affaire, ma cliente a été calomniée, diffamée, présentée comme une personne peu recommandable. Aujourd’hui, cette série la présente comme une fille cupide, une prostituée, une femme qui joue des tours aux hommes », s’insurge l’avocat.
Comme tous les soirs pendant le mois de ramadan, des sketchs humoristiques sont proposés à la télévision ou sur internet, au moment de la rupture du jeûne. Et comme chaque année, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) redouble de vigilance, veillant à ce que le « respect des sensibilités culturelles et religieuses » soit observé.
Mais c’est de la jeune Adji Sarr que les réalisateurs de la série se sont moqués cette fois-ci, selon El Hadj Diouf. En parallèle de sa plainte auprès du procureur, l’avocat en a déposé une autre auprès du CNRA pour réclamer l’interdiction de la diffusion de la série, qu’il accuse de diffamation. Pour Babacar Diagne, le président du Conseil, qui a reçu la plainte de l’avocat lundi soir, la procédure devant les tribunaux est suspensive de celle du CNRA. L’affaire serait donc aujourd’hui uniquement entre les mains de la justice.
Histoire d’une arnaqueuse
« Bien sûr, ce n’est pas interdit de s’inspirer d’une histoire pour faire une série. Mais pour l’instant, nous n’avons pu visionner que la bande-annonce », déclare Babacar Diagne. Il promet néanmoins de se saisir du dossier si la justice ne s’en emparait pas.
Le film ne parle pas de politique, ni d’Adji Sarr, ni de Sonko
« Le théâtre, ce ne sont que des histoires inspirées de faits de société », balaie pour sa part le réalisateur de la série, Badara Fall, qui l’assure : la série qu’il a réalisée n’a « aucun rapport » avec la Adji Sarr que l’on connaît. Et le personnage principal n’est d’ailleurs pas une femme aux mœurs légères, mais une « arnaqueuse », rectifie-t-il.
« Pour rassurer tout le monde, le film relate l’histoire d’une arnaqueuse qui a fui en Gambie. Le film ne parle pas de politique, ni d’Adji Sarr, ni de Sonko, affirme le réalisateur. Nous avons choisi de nommer le personnage principal comme ça : on aurait tout aussi bien pu l’appeler Adama ou Aïssatou. » Le nom de la série a toutefois été modifié au cours du week-end, suite au tollé provoqué par la diffusion de la bande-annonce.
« Jetée en pâture »
El Hadj Diouf pourrait-il entendre ces arguments ? Selon le conseil d’Adji Sarr, cette affaire n’est qu’une nouvelle étape d’une « stratégie de délégitimation » de sa cliente. « Les partisans de Sonko l’ont diffamée pour qu’on ne prenne pas ses déclarations au sérieux, ils ont tenté de l’intimider et de la terroriser », accuse l’avocat. Depuis que l’affaire a éclaté, la jeune femme vit sous protection. Logée à Dakar, elle sort peu, et toujours accompagnée par les policiers de la division des investigations criminelles, qui la surveillent 24 heures sur 24.
Elle a été jetée en pâture pour avoir osé s’exprimer
Menacée de mort, moquée, insultée, la jeune femme a vu sa parole remise sans cesse en doute par nombre de commentateurs. Quant aux organisations féministes, elles ont été peu nombreuses à lui manifester son soutien. Selon nos informations, Adji Sarr aurait ainsi rendu visite à l’une des principales associations de défense des droits des femmes sénégalaises, quelques jours après avoir déposé plainte. Cette structure l’a reçue et entendue, et ouvert un dossier.
Mais quand il a fallu prendre la décision de s’exprimer publiquement pour la défendre, les membres de l’association, divisées, ont finalement préféré rester silencieuses. « Les droits et la dignité de cette jeune femme doivent être préservés », rappelle aujourd’hui l’une de ses membres, qui aurait souhaité voir l’association prendre parti pour l’accusatrice d’Ousmane Sonko. « Elle a été jetée en pâture pour avoir osé s’exprimer. Aujourd’hui, beaucoup de personnes sont concernées par des faits de violence sexuelle, mais osent encore moins en parler qu’avant », estime-t-elle.
Sonko bientôt confronté à son accusatrice
La jeune femme, qui s’est exprimée une seule fois publiquement depuis le début de l’affaire, le 17 mars dernier, avait confirmé l’ensemble de ses accusations devant la presse, revenant longuement et en détail sur ses relations avec le député. « Si Ousmane Sonko n’a jamais couché avec moi, qu’il le jure sur le Coran ! », avait-elle déclaré. Elle avait également exprimé ses regrets suite aux émeutes qui avaient accompagné l’arrestation d’Ousmane Sonko le 3 mars [pour des faits de « troubles à l’ordre public » alors qu’il se rendait chez le juge].
« Je n’ai jamais voulu rentrer dans les détails des rapports qu’il avait avec moi en allant porter plainte, je voulais que personne ne le sache, que le gendarme fasse son travail et qu’il me laisse tranquille afin de pouvoir m’en aller », avait-elle alors précisé.
La jeune femme a déjà été entendue pendant plusieurs heures par le doyen des juges, Samba Sall. C’est également lui qui avait inculpé Ousmane Sonko, le 8 mars dernier, avant de le libérer et de le placer sous contrôle judiciaire. Décédé le 8 avril dernier, ce dernier devrait être remplacé prochainement. C’est à son successeur de reprendre l’enquête. Prochaine étape : entendre Ousmane Sonko, et le confronter à son accusatrice.
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