Une guerre… utile

Publié le 11 septembre 2006 Lecture : 6 minutes.

La seconde (et on l’espère dernière) invasion du Liban par Israël a été déclenchée le 12 juillet dernier. La guerre qui s’est ensuivie a duré trente-quatre longs jours, meurtriers et dévastateurs. Mais les hostilités ont fini par cesser à la faveur d’un arbitrage de l’ONU – la résolution 1701 du Conseil de sécurité -, il y a environ un mois.
La poussière des combats étant retombée, on commence à voir clair dans les arcanes de cet affrontement – et à en démêler les conséquences.

Il a démarré de manière totalement imprévue et avec la plus grande brutalité sur un motif jugé sérieux par la grande majorité des Israéliens, qui ont approuvé la décision de leur gouvernement de se lancer dans la guerre.
Ce dernier et son état-major militaire ne se sont d’ailleurs pas fait prier ; ils se sont jetés dans la mêlée, sans trop réfléchir et la fleur au fusil. Objectif affiché et qui leur a semblé à la fois nécessaire et facile à atteindre : faire cesser les « tirs-coups d’épingle » contre leur pays, « crever l’abcès », « donner une leçon inoubliable aux agresseurs arabes », détruire le Hezbollah libanais, semer la terreur pour dissuader tout voisin qui serait tenté de se rebeller contre « l’ordre israélien »

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Ce motif sérieux, devenu prétexte, quel était-il ? Une patrouille de ce même Hezbollah libanais qui a mené la vie dure à Tsahal lorsqu’elle occupait le Sud-Liban s’était introduite, ce 12 juillet fatidique, en Israël même, avait tué huit soldats et en avait capturé deux autres qu’elle a ramenés au Liban (pour les échanger ultérieurement contre quelques combattants du Hezbollah détenus en Israël depuis des années).
Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait décidé de ce fait d’armes, pensait mener une opération de routine. Il avouera par la suite, à la télévision, qu’il n’a, à aucun moment, imaginé que son acte, grave et lui aussi irréfléchi – mais non sans précédent – déclencherait une guerre qui durerait plus d’un mois, sèmerait la mort et la destruction dans son pays, mobiliserait le G8, l’ONU et la communauté internationale dans son ensemble.
« Si j’avais pensé que je provoquerais 1 % de ce qui est advenu, je n’aurais pas ordonné l’incursion », a-t-il reconnu.
On ne peut que le croire, même si on doit le blâmer pour sa méprise.

À ce stade, il me paraît nécessaire de préciser que, hors d’Israël (où la très grande majorité de la population a – dans les premiers jours en tout cas – approuvé le bellicisme de son gouvernement), peu de gens ont compris la logique guerrière de MM. Olmert, le Premier ministre, Peretz, le ministre de la Défense, et Halutz, le chef d’état-major.
On s’en est étonné dans les chancelleries, et l’on a rappelé que l’Inde au Cachemire, l’Espagne dans ses grandes villes et la Grande-Bretagne en Irlande ont, plus d’une fois, subi des attaques aussi graves perpétrées par des organisations implacables et sanguinaires sans jamais réagir par la guerre contre le voisin d’où était partie l’agression.
Les nouveaux dirigeants d’Israël – des civils inexpérimentés – auraient pu se contenter de frapper durement, comme l’ont fait leurs prédécesseurs (dont Ariel Sharon) en réaction à des faits similaires. Ils ont fait le choix de la guerre pour s’affirmer et s’y sont tenus un mois durant, par faiblesse.
Avec le soutien de George W. Bush et Tony Blair, seuls au monde à les approuver.

La guerre du Liban aura donc été, à son tour, comme bien d’autres dans l’histoire contemporaine, une déflagration non voulue : déclenchée par des adversaires qui se trompaient sur leurs intentions et leurs moyens respectifs. Et, comme il se doit, elle a apporté son lot de surprises.
Depuis qu’elle a pris fin, il y a plus d’un mois, on s’interroge : qui l’a gagnée ? Qui l’a perdue ? Que va-t-il en résulter ?

Au risque de vous étonner, et alors que vous êtes sans doute encore révulsés par les horreurs qu’elle a entraînées, je soutiens que pour destructrice et cruelle qu’elle ait été, cette guerre aura été utile, et même l’une des plus utiles qu’il nous ait été donné d’observer depuis 1945.
Des hommes politiques et des militaires israéliens paieront sans doute, dès les prochains mois, le prix de leur outrecuidance ; des dirigeants arabes et anglo-saxons paieront de leur côté le prix de leur cynisme : ce ne sera que justice !
Mais, dans leur ensemble, les pays et les peuples de la région, dont en premier lieu le Liban, vont, à mon avis, se trouver en situation de tirer bénéfice de cette guerre et des changements considérables qu’elle ne manquera pas d’introduire au Moyen-Orient !

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Le Liban
L’armée libanaise s’est déjà déployée dans le sud du pays, dont elle était bannie ; elle se frottera – pacifiquement – à quinze mille soldats européens et musulmans financés par la communauté internationale. Ces résidents permanents prospères enrichiront le Liban par leurs dépenses, serviront d’instructeurs aux militaires locaux et, surtout, de rempart à leur pays contre toute nouvelle agression.
Le Liban récupérera dans les prochaines semaines les fermes de Chebaa, qu’Israël s’est résigné à évacuer et sur lesquelles la Syrie a abandonné toute revendication. Il récupérera aussi, et plus vite encore, ses prisonniers, qu’Israël échangera contre ses deux soldats capturés.
La reconstruction du pays est déjà financée par l’aide internationale, et sa monnaie, hier menacée par un endettement excessif, bénéficiera d’un répit.
Quant à sa cohésion nationale, qui ne voit qu’elle est nettement moins fragile qu’il y a deux mois ?

La Syrie
Mis à part un Jacques Chirac en toute fin de parcours et un George W. Bush qui n’en a plus que pour un peu plus de deux ans, le pays de Bachar al-Assad n’a plus d’ennemis.
Ses amis au Liban ont été renforcés par la guerre et ses adversaires doivent faire profil bas.
L’Iran a plus que jamais besoin de la Syrie. Et en Israël, pour la première fois depuis 1967, on pense, au plus haut niveau, qu’il faudra se résoudre à lui restituer le Golan si l’on veut la détacher de l’Iran, érigé en ennemi numéro un de l’État hébreu.

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Israël-Palestine
Avant la guerre du Liban, Israël était dirigé par Sharon et le Likoud, puis, à partir de janvier dernier, par Ehoud Olmert, pâle second et disciple de Sharon, et le parti Kadima, avatar du Likoud. Leur doctrine commune est l’unilatéralisme avec carte blanche à l’armée pour bombarder et assassiner : on ne discute pas avec les Palestiniens, et le très pacifique Mahmoud Abbas, élu démocratiquement à la tête de l’Autorité palestinienne, sera à leurs yeux « irrelevant », comme avant lui Arafat. On ne tiendra pas la promesse qu’on lui a faite de libérer 400 à 800 détenus, on ne le rencontrera qu’une ou deux fois en deux ans et l’on dira à qui veut l’entendre : « Il n’est rien… quantité négligeable. »
Lorsque le Hamas remporta les élections – tout aussi démocratiquement – et qu’il prit le contrôle de l’exécutif, Olmert s’entendit avec Washington pour lui déclarer la guerre et Israël somma le monde entier de s’associer à l’entreprise de strangulation.

La guerre du Liban n’est qu’un volet de cette politique de la force. La résistance du Hamas en Palestine et celle du Hezbollah au Liban ont montré qu’elle conduisait Israël à l’impasse, à l’échec et au discrédit.
Si l’État hébreu entend persévérer sur cette voie, il lui faudra faire appel à Netanyahou, Lieberman et autres politiciens d’extrême droite, mieux armés – c’est le cas de le dire – pour instaurer un vrai apartheid.
Ce serait mauvais pour la région et suicidaire pour Israël. Mais on doit le craindre et il faut l’envisager.
On peut cependant espérer que la balance penchera de l’autre côté : je suis persuadé, pour ma part, que George W. Bush et Ehoud Olmert échoueront dans leur tentative de diaboliser le Hamas et d’étrangler son gouvernement.
S’ajoutant à leur insuccès au Liban, cet échec contraindra leurs successeurs à une autre politique, qui ne peut être que la recherche d’un accord équilibré entre Israël et ses voisins arabes.

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