Soyinka : le Nigeria, c’est moi

Le Prix Nobel de littérature poursuit sa quête introspective en signant un nouveau volet de son autobiographie.

Publié le 11 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Avec You Must Set Forth at Dawn, l’écrivain nigérian Wole Soyinka signe un nouveau volet de son autobiographie, qui fait suite à Aké, les années de jeunesse, paru en France en 1982. Pas encore disponible en français, cet ouvrage fait pourtant déjà parler de lui. Est-ce dû à la personnalité de l’auteur, perpétuel trublion, qui est à la fois militant politique, enseignant, romancier, essayiste, poète, auteur de pièces de théâtre, metteur en scène et comédien ? Ni l’âge – il a eu 72 ans le 13 juillet 2006 -, ni les épreuves, ni l’exil, ni même la reconnaissance internationale – il est le premier Africain à avoir obtenu le prix Nobel de littérature en 1986 – ne l’ont convaincu de s’assagir.
Son livre débute peu avant 1960, date à laquelle le Nigeria accède à l’indépendance. À cette époque, Soyinka étudie en Angleterre et voit avec stupéfaction débarquer à Londres des dizaines d’hommes politiques nigérians, bien plus avides de boîtes de nuit, de filles et d’argent facile que d’accords bilatéraux. « Les élections [de 1959, qui établissent la Ire République nigériane] sont trafiquées par les Britanniques, écrit Soyinka. Sur instruction du ministère de l’Intérieur, le recensement est falsifié et octroie une majorité artificielle au Nord, féodal et conservateur. » Cet épisode va avoir d’incalculables conséquences pour le Nigeria, qui ne tardera pas à sombrer dans la dictature, et pour le jeune Soyinka. Rentré au pays en 1962, celui-ci connaît bientôt la violence et la prison pendant deux ans.
En relatant dans You Must Set Forth at Dawn ses activités d’opposant, ses traversées clandestines de frontières et autres missions diplomatiques secrètes, on comprend pourquoi il a dû fuir le régime du général Sani Abacha qui allait bientôt le condamner par contumace à la peine de mort. On apprend comment il avait planifié la formation d’une brigade de volontaires destinés à combattre aux côtés du Congrès national africain (ANC), en Afrique du Sud. On découvre aussi qu’il a fréquenté le général Ibrahim Babangida, auteur du coup d’État de 1985. Il voyait régulièrement ce dernier et plaidait la cause de ses camarades emprisonnés, avec un certain succès. On lit volontiers le récit de sa rencontre, en 1998, avec Shimon Pérès, ministre israélien des Affaires étrangères, à qui il demande d’interrompre son assistance aux forces de sécurité du général Abacha, alors au pouvoir. En revanche, on apprendra peu de choses de sa vie privée, sauf qu’il s’est marié au moins une fois et qu’il a « beaucoup » d’enfants. Aucun portrait de famille dans ce texte, hormis celui d’un frère, coupable d’avoir vendu toute la collection de masques et d’objets cultuels yoroubas de Wole pendant qu’il était en prison et sans son autorisation. La distance établie volontairement entre l’auteur et l’homme Soyinka étonne dans ce livre. Il parle de lui à la troisième personne du singulier, se désignant par les initiales W.S. Par ailleurs, Soyinka ne donne pas son opinion sur certaines questions cruciales qu’il se borne à constater : pourquoi le Nigeria a-t-il une histoire aussi chaotique ? Pourquoi opposants et réformateurs n’ont-ils jamais pu s’unir ? Quelles sont les conséquences du fossé existant entre chrétiens et musulmans ? Il faut certainement chercher la réponse à ces « oublis » dans la complexité des relations que l’écrivain entretient avec le système politique de son pays. Il a, de toute évidence, quelques comptes à régler avec l’actuel président, Olusegun Obasanjo, qui datent du temps où celui-ci était général et dirigeait le pays d’une main de fer, entre 1976 et 1979.
Il reste néanmoins que ce livre passionnant, écrit de façon fluide et érudite, retrace l’histoire d’une nation prépondérante en Afrique depuis son indépendance, vue à travers les yeux d’un homme qui l’aime et qui appartient à la génération des panafricanistes passionnés, ceux qui ont investi tous leurs espoirs dans le devenir du continent et se sentent aujourd’hui déçus, voire trahis, en constatant ce qu’il en est advenu.

You Must Set Forth at Dawn, a Memoir, de Wole Soyinka, éd. Random House, 528 pages, 26,95 dollars.

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