Retour à Dolisie

Le chef de l’État congolais a célébré les fêtes de l’indépendance dans le fief de son rival. Une cité qui tente de se reconstruire.

Publié le 11 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Le Boeing 737 de la compagnie Trans Air Congo vient de s’immobiliser sur la piste de l’aéroport Ngot-Nzoungou de Dolisie, chef-lieu du département du Niari, à environ 400 km à l’ouest de Brazzaville. À perte de vue, un paysage tout en pointillé, presque voilé par une couche de brouillard, se dessine. On devine la présence de l’imposant massif forestier du Mayombe.
Ce 13 août 2006, l’aérogare a un air de fête : la piste d’atterrissage a été élargie pour accueillir de gros appareils. Un premier Boeing 737 a atterri deux jours plus tôt. Tout le pays s’est donné rendez-vous ici pour célébrer le quarante-sixième anniversaire de l’indépendance. Les passagers n’ont pas encore quitté le tarmac qu’un aéronef monte au ciel, provoquant un tourbillon de poussière rouge.
Dolisie annonce la couleur en ce mois de saison sèche. Une longue avenue au bitumage encore frais traverse la cité de part en part. Des dizaines de banderoles s’agitent au vent, proclamant les vertus de la politique de la « Nouvelle Espérance » et de la « municipalisation accélérée ».
Le regard erre. Il se pose sur de récents travaux de voirie. Ici et là, quelques constructions écimées, éborgnées, blessées, s’obstinent à rester debout, défi aux années qui passent et rappel des horreurs de la guerre civile de 1997. À l’instar de Brazzaville, Dolisie a été meurtrie par les affrontements entre Ninjas (les miliciens du président de l’époque, Pascal Lissouba) et Cobras (partisans de son rival Denis Sassou Nguesso). Fief de Lissouba, la ville a beaucoup souffert et les Dolisiens s’en souviennent. « Certaines maisons ont servi de camps retranchés aux combattants », explique un Brazzavillois originaire de Dolisie.
À l’étranger qui arrive, les Dolisiens tiennent le même discours : « Dolisie a beaucoup changé. Défigurée pendant la guerre, elle a aujourd’hui un nouveau visage. » L’étranger, perplexe, regarde autour de lui. Il ne sent, nulle part, une ville en plein essor, en dépit des chantiers en cours. Le maire, Jean-Michel Mavoungou-Ngot, est plus précis dans la démonstration : « Avant, nous avions 17 km de routes bitumées dégradées à 97 %. Aujourd’hui, nous en avons 21, tous bitumés. La piste de l’aéroport, construit en 1953, mesurait 1 600 m. La nouvelle piste, digne d’un aéroport de deuxième degré, mesure 2 050 m. Le Grand Hôtel était délabré et fermé. Rénové, il vient d’être rouvert au public, avec ses 45 chambres et 12 suites. » Et il évoque l’extension du réseau électrique, la réhabilitation et l’extension du réseau de distribution d’eau
« Il y a de la lumière, il y a de l’eau, c’est vrai, rétorque un de ses administrés. Mais il faut poursuivre les travaux. Beaucoup de quartiers n’ont pas encore accès à l’eau potable et se contentent de celle des puits qui, souvent, est à l’origine de la fièvre typhoïde. » En matière d’électricité, Dolisie est en butte à des délestages intempestifs. Certains soirs, le spectacle est surréel. Sur une rue, on trouve, d’un côté, un bar et une épicerie tous deux éclairés ; de l’autre côté, un salon de coiffure où les employées travaillent sans lumière et un vendeur de viande braisée qui a dû allumer une lampe tempête.
Sur le plan économique, la « municipalisation accélérée » de Dolisie a permis la création de plusieurs emplois, dont seulement 20 % à durée indéterminée. Le chômage est donc endémique, et l’État reste le principal employeur. La Société congolaise de bois (Socobois), qui était l’entreprise la plus importante, a mis la clef sous le paillasson. Une nouvelle compagnie, Asia Congo Industrie, appartenant à des Malaisiens, a pris le relais. Mais elle est basée à Pointe-Noire, au grand dam des Dolisiens. Dans le chef-lieu du Niari, le petit commerce est tenu par des expatriés, essentiellement des Mauritaniens. « Les nationaux, commente le maire de Dolisie, préfèrent ouvrir un bistrot, une petite pharmacie ou un hôtel de passe. » Mais les initiatives ne manquent pas dans cette ville de quelque 100 000 habitants dont le taxi reste le seul moyen de transport.
Depuis quelques années, en effet, un phénomène qu’on ne trouve nulle part ailleurs au Congo est apparu : les motos-taxis. La course coûte 200 F CFA. La mairie a pourtant décidé de les interdire, « car la sécurité des conducteurs et des passagers n’est pas garantie ». Impopulaire, la mesure n’est pas appliquée. Dans quelques semaines, un service urbain de transport, comprenant cinq minibus achetés par la mairie, devrait voir le jour.
Fêter le 15 août à Dolisie a un sens politique pour Denis Sassou Nguesso. Avant les législatives de 2007 et la présidentielle de 2009, le chef de l’État congolais a sans doute voulu mesurer le degré de sa popularité dans ce qui est toujours le fief de son rival, Pascal Lissouba. Un Dolisien qui a pris ses distances avec l’Union panafricaine pour la démocratie et le progrès social (Upads, le parti de l’ancien président) souligne : « Le peuple a honoré le président de la République. Chez nous, même si vous n’aimez pas une personne, il faut la recevoir dignement. C’est ce qui a été fait. » Un proche d’Ambroise Édouard Noumazalay, président du Sénat et secrétaire général du Parti congolais du travail (PCT, le parti présidentiel), déclare pour sa part : « Les gens pensaient que Sassou ne pouvait pas aller à Dolisie. Il y est allé. Nous n’allons pas dire que les populations nous aiment, mais elles ne nous sont pas particulièrement hostiles. Pendant son règne, Lissouba n’a rien construit à Dolisie. Nous retrouver ici, un 15 août, a une signification pour nous : c’est le triomphe de notre politique de démocratie apaisée. » Mais pour les dirigeants de l’Upads, tout ce qui a été inauguré à Dolisie c’est du « replâtrage », de la poudre aux yeux. « La sanction des urnes tombera en 2007 si la Commission électorale indépendante est créée », renchérissent-ils.
Peut-on dire que Denis Sassou Nguesso, le temps d’un défilé et de quelques inaugurations, a conquis le Sud ? Le chemin est encore long. Sur la cinquantaine de députés que compte le PCT, seulement trois sont originaires du Sud. Pis, le parti présidentiel ne compte qu’un petit pour cent de militants dans le Niari. Il lui faudra d’abord se débarrasser de l’étiquette « parti du Nord » qui lui colle à la peau. Même si le maire de Dolisie est membre du PCT

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