Épineux Darfour

Entre l’accord de paix et la résolution du Conseil de sécurité, les tentatives de règlement du conflit qui sévit dans l’Ouest se succèdent. En vain.

Publié le 11 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Le Soudan serait-il en train de préparer une opération d’envergure au Darfour, sa région occidentale où, depuis près de quatre ans, s’affrontent milices « arabes » djandjawids soutenues par le gouvernement et rebelles « négro-africains » ? Khartoum masse des troupes dans le nord de la zone, où de violents affrontements ont encore éclaté fin août, et annonce l’envoi d’un contingent de plus de 10 000 hommes, chargés, dit-elle, de rétablir la sécurité et de faire appliquer l’accord de paix signé à Abuja (Nigeria) en mai 2006.

Que peuvent faire les Nations unies ?
La résolution 1706, rédigée par les États-Unis et la Grande-Bretagne, a été adoptée par le Conseil de sécurité le 31 août avec douze voix pour et trois abstentions : la Chine, la Russie et le Qatar. Elle prévoit la mobilisation d’une force de maintien de la paix à hauteur de 17 300 hommes, 9 000 en provenance de la Mission des Nations unies au Soudan (Minus) présente dans le sud du pays et 5 000 soldats et 3 300 policiers nouvellement mobilisés. Ils agiraient sous couvert du Chapitre VII de la Charte de l’ONU, qui autorise à utiliser la force pour se protéger, assurer la libre circulation des travailleurs humanitaires et prévenir les attaques contre les civils.
Non content de refuser l’arrivée des Casques bleus, Khartoum a par ailleurs prié l’Union africaine (UA) de retirer ses 7 000 soldats avant même l’expiration de leur mandat, le 30 septembre. C’est un camouflet infligé à l’organisation internationale, qui s’est révélée impuissante à « donner une solution africaine à une crise africaine » comme elle le souhaitait. Elle n’a pas réussi à dominer les divergences entre ses pays membres du Sud et du Nord-Sahara, ni à mobiliser des moyens financiers suffisants, internes ou en provenance de bailleurs de fonds, pour renforcer le mandat de ses militaires, cantonnés à un rôle « d’observateurs ». Eût-elle d’ailleurs réussi à réunir les fonds nécessaires auprès des Occidentaux que le gouvernement soudanais l’aurait certainement récusée plus tôt

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Pourquoi refuser la présence de l’ONU ?
Khartoum estime qu’une intervention telle que définie par le Conseil de sécurité représente une « ingérence » et un « viol de sa souveraineté ». En réalité, il ne souhaite pas voir s’interrompre immédiatement les combats. L’accord de paix signé le 5 mai 2006 à Abuja (Nigeria) entre le gouvernement et la faction de l’Armée de libération du Soudan (ALS) dirigée par Minni Minawi, l’un des trois mouvements rebelles, apparaît de plus en plus comme un artefact destiné à jeter de la poudre aux yeux de la communauté internationale et, dans la foulée, sortir honorablement l’UA du guêpier où elle s’enlisait depuis 2004. À son corps défendant, Khartoum a ainsi permis à l’ALS de donner un tour public à ses revendications, Minni Minawi ayant choisi de jouer la carte politique plutôt que militaire. Le retrait de la table des négociations des mouvements les plus combatifs a donné à tous une bonne excuse pour ne pas vraiment respecter le cessez-le-feu.
Dans les faits, le texte prévoit d’une part le désarmement des milices arabes djandjawids et le retour des civils chez eux, d’autre part un partage plus équitable des ressources du pays, le respect de l’identité communautaire et religieuse des populations régionales et la mise en place d’un « gouvernement fédéral ». Les rebelles, dont les velléités sécessionnistes ne sont pas un mystère, réclament la création d’une région unique et autonome composée des trois États actuels du Darfour, un poste de second vice-président, l’indemnisation des victimes du conflit et l’octroi de 6,5 % du produit national soudanais à un fonds de développement du Darfour. Khartoum, qui a dû faire des concessions équivalentes à sa région Sud, n’est pas prêt à accepter sans combattre les mêmes termes au Darfour.

Pourquoi les États-Unis s’intéressent-ils au Darfour ?
Les Américains s’intéressent, ce n’est pas nouveau, à la carte pétrolière sahélienne. L’exploration et la production sont en augmentation exponentielle au Soudan, avec 500 000 barils extraits par jour (perspective 2006, sources françaises) contre 330 000 b/j en 2005. Les États-Unis ne sont pas encore clients, mais pourraient le devenir.
La satisfaction des lobbies chrétiens et africains-américains pèse presque tout autant dans les orientations diplomatiques de l’administration Bush au Darfour, tout comme l’obligation morale de promotion de la démocratie dans laquelle elle s’est engagée. Selon eux, les Américains doivent exercer vis-à-vis du Soudan leur devoir de protection des civils contre la tyrannie, le nettoyage ethnique et les violations des droits de l’homme, comme elle affirme le faire en Irak ou en Afghanistan. Enfin, depuis les attentats du 11 septembre 2001, les officiers de renseignement soudanais coopèrent avec les États-Unis dans leur lutte contre le terrorisme.

L’analyse « ethnico-communautaire » est-elle valable ?
Le premier facteur de guerre est le maintien à l’écart des Darfouriens, arabes et non-arabes, de la vie politique nationale, et ce depuis les années 1960. Face à l’inaction du gouvernement en leur faveur et à l’accroissement des vols de bétail par les factions rebelles tchadiennes, les communautés se sont organisées en milices d’autodéfense qui sont devenues les groupes rebelles d’aujourd’hui.
S’il existe un quelconque racisme dans le conflit du Darfour, il est le fait des partisans du « couloir arabe », une zone qui traverserait l’Afrique d’ouest en est. Les disciples de l’ancien Premier ministre Sadiq al-Mahdi forment le gros de ces partisans, dont beaucoup ont déjà rejoint l’armée régulière ou les milices. Certains ont constitué l’Alliance arabe au Darfour, dont le but est d’asseoir leur domination dans la région. Par ailleurs, au cours des années 1980, plusieurs factions tchadiennes ont utilisé le Darfour comme base de repli. Les liens entre l’Alliance arabe et ces groupes représentent l’un des soucis actuels du président tchadien Idriss Déby Itno, raison pour laquelle il s’est déclaré, le 4 septembre 2006, en faveur du déploiement des Casques bleus dans la zone.
La donne islamiste vient compliquer la situation. Il existe un groupe de Soudanais d’origine ouest-africaine installés depuis longtemps dans le pays, principalement des Haoussas et des Peuls, appelés Fellata. L’une des trouvailles politiques d’Hassan al-Tourabi, le leader islamiste, a été d’accroître sa base, traditionnellement située parmi les Arabes de la vallée du Nil, en enrôlant ces musulmans de l’Ouest, au même titre que les Darfouriens. En 1999, quand le président Béchir a limogé Tourabi de son poste de Premier ministre, la plupart de ces « Occidentaux » et des Darfouriens ont rejoint les rangs de l’opposition. Ce sont eux qui forment l’ossature du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE, rebelle). Les Arabes « locaux » sont restés avec le gouvernement. D’où la division des islamistes soudanais sur la question du Darfour.
Entrent également en ligne de compte les officiers supérieurs de l’armée, qui contrôlent le renseignement militaire et les forces de sécurité. Au fil du temps, ils se sont constitué des forces annexes avec les milices du Sud et de l’Ouest au point de bloquer plusieurs fois le processus de paix entre Khartoum et la Sudan People’s Liberation Army (SPLA, mouvement sudiste autrefois dirigé par John Garang). Lorsque l’insurrection de l’ALS et du MJE a éclaté en 2003, le gouvernement a d’abord tenté de trouver une solution politique. Aucun consensus n’étant possible, il a eu recours à la solution militaire et donné carte blanche à ces cadres de l’armée. Ceux-ci ont conclu une alliance objective avec les Djandjawids et les Fursans, leurs équivalents du Sud, moins connus des médias mais déjà utilisés en 1991 pour refouler les incursions au Darfour de la SPLA.

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