Morts pour la France

Publié le 11 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Au terme de décennies d’un silence embarrassé, la France est amenée depuis deux ou trois ans à s’interroger sur son passé de puissance impériale. Après la controverse suscitée par la désormais célèbre loi du 23 février 2005 exaltant « le rôle positif de la présence française outre-mer », après les émeutes d’octobre-novembre derniers qui ont mis en lumière les problèmes d’intégration de nombreux jeunes originaires par leurs parents des anciens territoires d’outre-mer, il ne lui est plus possible de passer par pertes et profits les séquelles de son histoire coloniale.
Au rang des questions longtemps occultées, l’enrôlement, souvent par la force, de centaines de milliers de soldats dans l’armée française. La sortie dans l’Hexagone, le 27 septembre, d’Indigènes, le film de Rachid Bouchareb, devrait aider le grand public à (re)découvrir leur contribution à la défaite de l’Allemagne nazie en 1945. Publié par Librio, un livre intitulé Paroles d’indigènes. Les soldats oubliés de la Seconde Guerre mondiale (96 pages, 2 euros) et signé par Isabelle Bournier et Marc Pottier vient fort opportunément accompagner le film.
Alors que, récemment, Géraldine Faes et Stephen Smith avaient évoqué, dans un chapitre de Noir et Français (éditions Panama), l’histoire spécifique des combattants subsahariens, un ouvrage richement illustré (480 documents !) leur est aujourd’hui totalement consacré. Éric Deroo et Antoine Champeaux, les auteurs, travaillent de longue date sur le sujet, qui leur a déjà inspiré de nombreux écrits. À partir d’une iconographie collectée depuis plus de trente ans, ils ont « comparé les images fabriquées et celles prises sur le vif, les documents privés et les sources officielles, les quelques témoignages d’époque et les multiples slogans de la propagande ».
Le titre de l’album, La Force noire, reprend celui d’un livre paru en 1910 et dans lequel le lieutenant-colonel (et futur général) Mangin proposait de substituer aux effectifs européens dépêchés outre-mer un contingent massif d’hommes recrutés sur place. L’épopée de ces soldats « indigènes » avait toutefois commencé officiellement en 1857, avec la création, à l’instigation du général Faidherbe, du corps des tirailleurs sénégalais (ils garderont cette appellation alors que, en réalité, ils proviendront de toute l’Afrique de l’Ouest). On connaît mieux la suite, et la façon dont ces tirailleurs s’illustreront sur les divers champs de bataille lors des deux Guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945. Dans le livre d’Éric Deroo et Antoine Champeaux, de multiples documents iconographiques illustrent ces épisodes guerriers. Mais aussi la représentation qui est faite en Europe des combattants africains. À partir de 1920, quand des unités coloniales participent à l’occupation de la Rhénanie, les Allemands, afin de détourner l’image de barbarie qui colle à leur armée depuis 1914, se déchaînent contre les « nègres » qu’ils accusent des pires forfaits, notamment de viols et d’assassinats.
En France, en revanche, la guerre a rendu populaire le « bon Noir ». C’est l’époque où apparaît le « Y’a bon Banania ». Partant d’un « bon » sentiment, ce cliché associant la force et la bravoure du tirailleur à sa supposée naïveté inscrira pour longtemps dans l’imaginaire métropolitain une vision méprisante des Africains.
Évidemment, l’histoire des soldats de l’armée coloniale ne s’arrête pas là, et le livre que publient aujourd’hui les éditions Tallandier n’en occulte aucun aspect, jusqu’à se conclure par le scandale de la cristallisation des pensions des anciens combattants africains. À l’heure où la France rechigne à payer le prix d’une injustice longue d’un demi-siècle, cet ouvrage rend magnifiquement hommage aux centaines de milliers d’hommes qui, eux, « n’ont jamais mesuré ni leur engagement ni leur sang pour une France si lointaine ». Et si ingrate, ajouterons-nous.

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