L’introuvable transition
À la veille d’accueillir, à partir du lundi 11 septembre, le 14e sommet du Mouvement des non-alignés, l’île vit au rythme des supputations entourant la succession de Fidel Castro. Même si, à sa disparition, son frère Raúl doit assumer la continuité, le ca
A en croire la presse cubaine, Fidel Castro va mieux. « On peut dire que le moment le plus critique est passé. Aujourd’hui, je me remets à un rythme satisfaisant », déclare le Comandante dans un communiqué publié le 5 septembre sur le site Internet du quotidien Granma, l’organe du Parti communiste cubain. « Nous devons tous comprendre de façon réaliste qu’une entière guérison prendra du temps », ajoute-t-il, avant d’annoncer qu’il recevra lui-même, mais en privé, certains dignitaires étrangers. Une soixantaine de chefs d’État et de gouvernement sont en effet attendus à La Havane le 11 septembre, à l’occasion du 14e sommet du Mouvement des non-alignés.
Mais si le chef est encore trop faible pour présider l’événement – il avoue avoir perdu une vingtaine de kilos depuis l’intervention chirurgicale du 31 juillet -, il n’exclut pas d’y faire une brève apparition.
Pour des raisons de sécurité nationale, Castro a fait de sa santé un secret d’État. C’est lui, avec son frère Raúl, « provisoirement » placé à la tête du pays, qui gère cette question. Chaque mot du communiqué est soigneusement choisi. On y apprend au passage qu’une « entière guérison » est possible, mais que la situation actuelle risque de durer.
Entre l’optimisme prudent affiché par Castro et les analyses d’observateurs étrangers qui estiment que la santé du vieux dirigeant ne lui permettra pas de reprendre ses fonctions, il est difficile de savoir de quoi demain sera fait.
Il n’en demeure pas moins que la « transition » prévue par Castro lui-même est maintenant en place et que, depuis plus d’un mois, elle traverse cette phase délicate en défiant les pronostics les plus alarmistes. Les jours passent, et rien n’indique que le pays soit au bord de la guerre civile. Il est vrai que Raúl, qui dirige les forces armées depuis plus de quarante ans, a la situation bien en main : la police veille à chaque coin de rue, et les Comités de défense de la Révolution (CDR) quadrillent le pays. Sans compter qu’une partie importante de la population reste attachée à la personne du Comandante.
Une fois encore, les milliers de Cubains en exil à Miami se sont réjouis trop tôt en fêtant la chute du tyran à l’annonce de son hospitalisation.
De son côté, George W. Bush s’est adressé dès le 2 août aux habitants de l’île en déclarant : « Nous vous soutiendrons dans vos efforts pour installer [] un gouvernement de transition engagé vers la démocratie. » Mais cette manière de faire savoir qu’il rejette la passation de pouvoir entre les frères Castro et qu’il travaille activement au renversement du pouvoir intérimaire ne suscite guère l’enthousiasme des intéressés. Une fois n’est pas coutume, alors que l’opposition démocratique reste singulièrement discrète en ces temps d’incertitude, c’est l’Église catholique qui donne le ton. « Jamais l’Église de Cuba ne soutiendrait, ni même n’accepterait de quelque façon que ce soit une intervention étrangère. Ça, jamais ! » s’est exclamé le cardinal Jaime Ortega, la plus haute autorité de l’île. Dans un communiqué officiel, l’Église catholique exhorte même les chrétiens à prier pour le rétablissement de Fidel Castro. « Que Dieu accompagne le dirigeant cubain dans sa maladie et illumine son frère », demande-t-elle.
Même Oswaldo Payá, l’une des grandes figures de l’opposition démocratique intérieure, garde ses distances avec la politique de Bush et son encombrante amitié. Comme Elizardo Sánchez, autre figure emblématique de la résistance pacifique, il pense que la politique américaine de soutien financier est contre-productive et permet au pouvoir de présenter les opposants comme des mercenaires à la solde de l’impérialisme.
Le combat d’Oswaldo Payá aujourd’hui : promouvoir le dialogue entre les Cubains, tout en refusant que la seule option offerte au peuple soit l’affrontement des extrêmes. Son réformisme, qui passe autant par la défense de certains acquis de la Révolution, comme l’accès à la santé et à l’éducation par exemple, que par la restauration des libertés fondamentales, peut paraître utopique, mais il se pourrait bien qu’il soit majoritaire dans le pays.
Il rejoint en outre les conclusions de l’économiste américain Joseph Stiglitz, qui a démontré que les sociétés postcommunistes qui s’en sortent le mieux sont celles qui se réforment lentement. Or il semble que cet ancien conseiller de Bill Clinton, ex-vice-président de la Banque mondiale, Prix Nobel d’économie 2001 et aujourd’hui ennemi déclaré des « intégristes du marché » et des dérives ultralibérales, ait été reçu plusieurs fois à La Havane cette année. Pour conseiller qui ? Fidel ? D’autres dirigeants ? Ce qui ne fait guère de doute, c’est qu’avec lui, ou d’autres, la direction du Parti communiste cubain a soigneusement étudié le cas des « pays frères » (Chine, Vietnam) et leur conversion à l’économie de marché. Certains observateurs étrangers en poste à La Havane sont même persuadés que, dans les armoires des ministères cubains, les plans d’ouverture progressive de l’économie n’attendent que la mort du Líder máximo pour être mis en uvre. Cette transition permettrait à la nomenklatura de se maintenir au pouvoir, tout en commençant à mettre fin aux innombrables privations dont souffre le peuple cubain depuis plus de quinze ans. Et ce sans provoquer l’effondrement brutal du système, comme cela s’est produit en Union soviétique.
Si ces plans existent vraiment, il faut admettre que Raúl Castro lui-même puisse être à l’origine, à tout le moins partie prenante, d’un tel scénario. Car on voit mal comment ce détail aurait pu échapper à ses redoutables services. Alors qu’il est de notoriété publique que Raúl est un homme au caractère effacé, brutal, dogmatique et inféodé à son frère, certaines personnes laissent maintenant entendre qu’il a beaucoup changé et qu’il est en fait plus pragmatique qu’on ne l’imagine. Voilà pourquoi ce scénario de transition, qui s’est toujours heurté à l’inébranlable obstination du Comandante, aurait quelque chance d’être mis en uvre après sa mort, avec l’aide de la nouvelle génération qui a pris place au sein de la bureaucratie castriste.
Ce qui est clair, en tout cas, c’est qu’une ouverture progressive de l’économie sous contrôle des actuels dirigeants, avec ou sans Fidel, n’a aucune chance d’obtenir l’agrément américain.
Pour George Bush, toute solution passe d’abord par l’organisation d’élections libres et la mise à l’écart définitive du castrisme. Peu importe les risques de confrontation que cette perspective fait courir, peu importe le danger que fait peser sur la fragile économie de l’île la hargne des exilés de Miami, peu importe les dégâts sociaux que ne manquera pas de provoquer le passage brutal d’une économie administrée au libéralisme, Bush veut des élections. Comme en Irak, en somme, où l’on ne peut pas dire que le sort des citoyens s’en trouve vraiment amélioré.
En décembre 2003, George Bush a placé Colin Powell et le sénateur Martinez à la tête d’une Commission d’assistance à un Cuba libre avec pour mission d’élaborer une « stratégie permettant d’accélérer la fin de la tyrannie castriste » et de trouver les voies « d’une transition pacifique vers la démocratie ». C’est ce que fait le volumineux rapport de 500 pages publié en mai 2004, qui recommande également de « faire échouer la stratégie de succession du régime ». Et ça, à l’évidence, c’est un peu moins pacifique.
Dans l’application de cette stratégie, l’administration Bush a plusieurs handicaps : elle ne peut opérer ouvertement sur le sol cubain ; ses informations se résument à celles que lui fournissent les exilés anticastristes et quelques dissidents, et elle n’a dans la manche aucun candidat pour succéder à Castro. Il faut aussi ajouter que le régime cubain n’est plus aussi isolé qu’il y a cinq ans, loin s’en faut. On voit mal les États-Unis avoir recours à la force, ou exercer trop de pression sur l’île au moment de la mort de Fidel Castro sans ouvrir une crise grave en Amérique latine. Ni le Brésilien Lula, ni l’Argentin Kirchner, ni la socialiste chilienne Michelle Bachelet, sans parler du redoutable Vénézuélien Hugo Chávez, « fils spirituel » du Comandante, ou du Bolivien Evo Morales, ne pourraient assister sans réagir à une telle manifestation de la puissance impériale.
Mais, pour l’heure, Castro va mieux, le peuple a faim, Raúl gouverne, et Bush a déclaré au cours d’une conférence de presse organisée au Texas qu’il ne savait pas ce qui allait se passer à Cuba pendant la maladie de Castro.
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