Les soldats perdus du djihadisme

Affaibli par la répression et les redditions, le GSPC s’efforce coûte que coûte d’exister. En s’inspirant des méthodes de propagande d’al-Qaïda.

Publié le 11 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Alors que la classe politique hésite encore à prolonger le délai (échu au 31 août) accordé aux terroristes pour déposer les armes, les irréductibles du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) se lancent, pour la première fois, dans l’agit-prop. Cela va de la vraie-fausse reddition de Hassan Hattab, le fondateur de la phalange islamiste, à la mise en circulation d’une bande vidéo, en passant par une campagne d’affichage dénonçant la Charte pour la paix et la réconciliation nationale que le président Abdelaziz Bouteflika a fait adopter.
Implanté essentiellement en Kabylie, le GSPC veut faire croire que sa force de frappe n’a pas été entamée par les coups de boutoir assénés par les forces de sécurité (cinq cents combattants tués ou neutralisés au cours des douze derniers mois, selon Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur) et par les redditions (près de trois cents, selon la même source) qui ont clairsemé les rangs de ses katibas (« unités combattantes »).
Ses affiches ressemblent à s’y méprendre à celles des Groupes islamiques armés (GIA) au milieu des années 1990. Conçues dans les maquis, elles reproduisent une fatwa émise par le mufti du GSPC, Ahmed Zarabib, alias Abou el-Barra’e. Le message s’accompagne d’un avertissement qui fait froid dans le dos : « Iqra ou fout, gataa tamout ». Autrement dit : « Lis et passe ton chemin ; arrache [l’affiche] et on t’arrache [la vie]. » Le sens général reste inchangé : toute initiative du taghout (« tyran »), terme utilisé par les salafistes pour désigner le pouvoir, est illégitime. Parce qu’il ne s’inspire pas de la loi divine. Pour le GSPC, la seule solution à la crise est donc le remplacement de la République par le Califat, censé « rayonner sur l’ensemble de la Oumma », la communauté des croyants. Ce qui signifie que la lutte armée doit se poursuivre jusqu’à l’instauration d’un État islamique.
L’agit-prop à la sauce salafiste ne dédaigne pas la désinformation pure et simple. Ainsi de la vraie-fausse reddition de Hassan Hattab. Annoncé mort à plusieurs reprises, le fondateur du GSPC est en réalité bien vivant, mais on ignore quel est actuellement son rôle. Vétéran de la guerre sainte, il est issu d’une fratrie de djihadistes. Abdelkader, son aîné, fut notamment le compagnon de Mustapha Bouyali, le chef du Mouvement islamique armé (MIA), la première organisation djihadiste algérienne, au début des années 1980. Il s’est fait un prénom en organisant l’attentat qui, en août 1993, coûta la vie à Kasdi Merbah, l’ancien patron de la Sécurité militaire.
Hassan Hattab est d’abord passé par les GIA. En 1998, las des sanglants errements de ces derniers, Oussama Ben Laden lui demande de créer une nouvelle organisation qui tienne davantage compte des impératifs du djihad international. Le GSPC voit le jour et tient rapidement ses promesses. Tout en maintenant la pression sur le pouvoir algérien, il prépare un déploiement d’al-Qaïda au Maghreb (Bilad el-berbar, « le pays des Berbères ») et au Sahel (Bilad es-Soudan, « le pays des Noirs »). Contrairement aux GIA, il évite de s’en prendre aux civils et cible exclusivement les forces de sécurité. Parallèlement, il internationalise ses « activités », prend en charge de nombreux combattants étrangers (marocains, tunisiens, nigérians ou mauritaniens), implante des réseaux dormants en Europe et prend le contrôle des juteux trafics de cigarettes et de drogue entre le Maghreb, l’Afrique subsaharienne et le Vieux Continent. Il est alors au faîte de sa – douteuse – gloire.
Les ennuis commencent avec l’entrée en vigueur de la Concorde civile, en janvier 2000. En mars de cette même année, Bouteflika tient publiquement des propos qui contribuent à le déstabiliser. S’il avait encore 20 ans, confie le chef de l’État, il aurait sans doute la même démarche que « Monsieur Hattab ». Le tollé chez les éradicateurs, au premier rang desquels le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense et homme fort du pays, est énorme, mais s’estompe rapidement. Ce qui n’est pas le cas chez les insurgés islamistes, qui commencent à s’interroger sur le bien-fondé de la poursuite de la lutte armée. Hattab provoque une réunion des principaux chefs du GSPC. « Nous avons désormais un interlocuteur, alors négocions », propose-t-il. Mis en minorité, il ne doit sa survie qu’au prestige de sa famille et à ses antécédents djihadistes.
En plus de la vie sauve, ses lieutenants lui accordent une retraite plus ou moins dorée, dans une maison sur les hauteurs de l’imprenable maquis de Zberbar, sous la protection d’une véritable garde prétorienne. Il y vit encore. À la veille de l’échéance fixée aux maquisards désireux de déposer les armes pour bénéficier des dispositions prévues par la loi, Hattab publie un communiqué dans lequel il tire à boulets rouges sur l’initiative de Bouteflika. Quelques jours plus tard, un quotidien algérois présente sa reddition comme « le plus beau succès de la réconciliation nationale ». Hattab s’empresse alors de réagir. Pour démentir toute velléité de reddition et jurer ses grands dieux qu’il ne déposera pas les armes tant que le Front islamique du salut (FIS), dissous en mars 1992, n’aura pas été réhabilité et relégalisé. Une revendication qui n’a aucune chance d’aboutir. Cet épisode montre essentiellement une chose : la volonté du GSPC d’exister dans une Algérie qui regarde désormais ailleurs.
L’agit-prop du GSPC s’inspire des techniques de communication d’al-Qaïda. Mieux : l’organisation rentabilise la moindre évocation de son combat par les stars du djihadisme international (on sait qu’Abou Moussab al-Zarqaoui, Ayman Zawahiri et quelques autres ont rendu hommage à l’héroïsme des salafistes algériens). Elle filme la préparation et l’exécution des embuscades tendues à l’armée, diffuse sur Internet et sur CD puis distribue à la sortie de certaines mosquées les images des réunions de son état-major. Ainsi a-t-on appris que la disparition de Zarqaoui, le 7 juin, a été ressentie comme une tragédie dans les maquis algériens ; que le principal instructeur du groupe est un Tunisien nommé Mounir ; et que le chef de l’organisation, Abou Mossab Abdelwadoud, de son vrai nom Abdelmalek Droukdel, a décrété apostat tout membre du GSPC qui tenterait de bénéficier de l’amnistie prévue par la Charte. Bref, le GSPC rêve toujours de faire capituler la République. Même s’il y a loin de la coupe aux lèvres.

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