Bombardement de Bouaké : perpétuité pour les trois accusés

La cour d’assises de Paris a condamné les trois accusés, ivoiriens et biélorusse, à la prison à perpétuité pour avoir bombardé la ville ivoirienne et tué neuf soldats français en 2004.

Vue du camp Descartes à Bouaké après le bombardement du 6 novembre 2004. © PHILIPPE DESMAZES / AFP

Vue du camp Descartes à Bouaké après le bombardement du 6 novembre 2004. © PHILIPPE DESMAZES / AFP

Publié le 15 avril 2021 Lecture : 4 minutes.

La cour d’assises de Paris a rendu sont verdict dans le procès du bombardement de Bouaké qui avait coûté la vie à neuf militaires français et un civil américain, le 6 novembre 2004. Yury Sushkin, un mercenaire biélorusse, ainsi que Patrice Ouei et Ange Gnanduillet, deux officiers de l’armée de l’air ivoirienne, ont été condamnés à la prison à perpétuité par les juges qui ont rendu leur verdict ce jeudi au terme de trois semaines de procès. Absents lors de celui-ci, les trois hommes étaient notamment poursuivis pour « assassinats », le bombardement ayant « été effectué en temps de paix, sur des militaires pris par surprise », a précisé le président de la Cour d’appel, Thierry Fusina.

Les juges ont ainsi suivi les réquisitions de l’avocat général, qui avait réclamé la peine maximale à l’encontre des trois hommes. « Cette peine » de perpétuité, « je l’aurais requise dans les mêmes conditions si ces personnes étaient ici, si elles s’étaient défendues, parce que ce qui justifie cette peine, c’est la violence inouïe des faits », a déclaré Jean-Christophe Müller.

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« Préméditation »

Un soldat français après l’attaque sur la base de Bouaké, en 2004. © PHILIPPE DESMAZES / AFP

Un soldat français après l’attaque sur la base de Bouaké, en 2004. © PHILIPPE DESMAZES / AFP

Ni la justice ivoirienne ni la justice du Bélarus n’ont répondu aux mandats d’arrêt émis par la justice française à l’encontre des trois accusés. La première a indiqué que les deux officiers ivoiriens, promus au sein de l’armée l’année suivant le bombardement, ne pouvaient être poursuivis pour ces faits en raison d’une loi d’amnistie adoptée en 2007. Selon les autorités ivoiriennes, Ange Gnanduillet est décédé en 2015.

Le 6 novembre 2004, deux chasseurs déployés par l’aviation du président ivoirien Laurent Gbagbo pour attaquer les rebelles installés dans la moitié nord du pays avaient bombardé par surprise un camp de la force de paix française, chargée de faire tampon entre les deux forces en présence. Neuf soldats français et un civil américain avaient ainsi été tués, et une quarantaine de personnes blessées.

Décoller avec deux avions de guerre armés de roquettes me semble l’expression chimiquement pure de la préméditation

L’attaque était « caractérisée par une volonté préalable d’aller bombarder le camp français », avait argué Jean-Christophe Müller. « Des éléments montrent à l’évidence que la frappe était volontaire et dirigée contre [ledit] camp », et « décoller avec deux avions de guerre armés de roquettes me semble l’expression chimiquement pure de la préméditation », avait encore ajouté l’avocat général.

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En représailles, Paris avait détruit le jour même l’ensemble de l’aviation militaire ivoirienne, ruinant son offensive en cours, et déclenchant une crise diplomatico-militaire inédite entre la France et la Côte d’Ivoire.

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Le lendemain du bombardement, le 7 novembre 2004, quinze mercenaires biélorusses avaient été arrêtés à Abidjan, et huit autres à Lomé. Mais tous avaient par la suite été relâchés dans des conditions qui n’ont jusqu’à présent pas pu être éclaircies par la justice. Cet incompréhensible refus de Paris, dix jours après le bombardement, de récupérer huit suspects bélarusses, dont Yury Sushkin, a occupé une bonne partie des débats du procès.

Michèle Alliot-Marie, ministre française de la Défense à l’époque des faits, avait notamment affirmé qu’aucun mandat d’arrêt n’avait été délivré à leur encontre et qu’il n’y avait donc pas de base légale pour maintenir leur détention.

Zones d’ombre

Michèle Alliot-Marie, ministre française de la Défense à l'époque du bombardement de Bouaké, à la sortie d'une audience du procès devant la cour d'assises de Paris, le 13 avril 2021. © Patrice Pierrot/Avenir Pictures/ABACAPRESS.COM

Michèle Alliot-Marie, ministre française de la Défense à l'époque du bombardement de Bouaké, à la sortie d'une audience du procès devant la cour d'assises de Paris, le 13 avril 2021. © Patrice Pierrot/Avenir Pictures/ABACAPRESS.COM

De lourds soupçons ont pesé sur les décisions prises alors par les autorités françaises de l’époque. Au cours de l’enquête, la juge d’instruction chargée du dossier avait notamment pointé le rôle de Michèle Alliot-Marie (Défense), Dominique de Villepin (Intérieur) et Michel Barnier (Affaires étrangères). Dès 2016, elle avait saisi la Cour de justice de la République (CJR), en vain, le procureur général s’étant abstenu de soutenir sa requête.

En janvier 2009, le juge François Moulins, qui était alors chargé de l’instruction, a pu à son tour saisir la CJR, lui demandant de se prononcer sur l’opportunité d’ouvrir une enquête pour « recel de malfaiteurs », « entrave à la manifestation de la vérité » et « non-dénonciation de crime » à l’encontre des trois ministres. Demande rejetée en mai de la même année, par la commission des requêtes de la CJR, dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours.

Le ministère de la Défense est un ministère d’exécution de décisions prises par d’autres

Près de 90 témoins, quasiment tous Ffrançais, se sont succédé à la barre, des rescapés du bombardement aux anciens ministres français en fonction au moment des faits. Appelé à témoigner lors du procès, Dominique de Villepin a assuré n’avoir été « ni présent, ni associé » aux décisions dans ce dossier, pointant la « compétence claire » du ministère de la Défense. L’ex-ministre des Armées a elle aussi botté en touche, assurant notamment que « le ministère de la Défense est un ministère d’exécution de décisions prises par d’autres ».

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