Françoise Claustre
L’archéologue africaniste, l’une des otages les plus célèbres du XXe siècle, s’est éteinte le 3 septembre.
Son nom est resté gravé dans les mémoires, généralement précédé d’un « Madame » respectueux, moins une marque de politesse que d’admiration pour son exceptionnel courage. Françoise Claustre, archéologue enlevée et séquestrée au Tchad pendant trente-trois mois dans les années 1970, est décédée le 3 septembre à Montauriol, dans les Pyrénées-Orientales (sud-ouest de la France), des suites d’une longue maladie. Elle avait 69 ans. Nous n’oublierons jamais son visage triste, les lèvres serrées comme pour étouffer un sanglot, ses yeux bleus et ses cheveux retenus en arrière par une queue-de-cheval. Les photographies faites par Marie-Laure de Decker et les images tournées par Raymond Depardon en 1975 et 1976, dans le nord du Tibesti, ont fixé à jamais le drame de cette femme discrète, disciple de l’anthropologue André Leroi-Gourhan, chercheuse des déserts et africaniste.
Le 21 avril 1974, un commando toubou dirigé par Hissein Habré attaque le poste militaire de Bardaï, un village situé dans l’extrême nord du Tchad. En rébellion contre le président Tombalbaye, les nomades du désert, organisés au sein du Front de libération national tchadien (Frolinat), ont décidé de prendre des Européens en otages afin d’accentuer leur pression sur le pouvoir de N’Djamena et obtenir de l’argent, des armes et une reconnaissance internationale. Leur principal soutien extérieur, le colonel libyen Mouammar Kadhafi, les a abandonnés au profit d’un rapprochement avec Tombalbaye. Ils fixent alors leur premier objectif sur un médecin allemand, le Dr Christophe Staewen. Le destin veut que Françoise Claustre et un autre Français, Marc Combe, logent ce soir-là dans la maison voisine. Goukouni Oueddeï, allié d’Habré à cette époque avant de devenir son principal ennemi, avouera plus tard que ce triple enlèvement n’était pas prévu. Staewen, dont l’épouse a été tuée lors de l’attaque, est libéré le 12 juin contre rançon. La France, en pleine transition après la mort de son président, Georges Pompidou, survenue trois semaines auparavant, ne prend pas immédiatement la mesure de l’événement. Atermoiements, ultimatums, rançons à demi payées, promesses mal ou non tenues constituent la triste toile de fond de cette affaire, alors que la vie captive de Mme Claustre s’étire interminablement.
Le négociateur français, le commandant Pierre Galopin, est lui-même kidnappé puis exécuté. Marc Combe s’est évadé en 1975, mais Pierre Claustre, l’époux de Françoise, est tombé à son tour aux mains des Toubous. Il passera dix-huit mois prisonnier à quelques centaines de kilomètres de celle pour laquelle il a couru des risques insensés. Elle, anxieuse, insomniaque, arrive à peine à lire, subissant avec patience l’inconfort et le dur climat du désert, glacial la nuit, étouffant le jour. « Les Toubous vivaient comme cela, n’est-ce pas ? » commentera-t-elle sobrement. Elle est libérée, en même temps que son mari, le 1er février 1977, grâce à l’intervention de la Libye.
Ce n’est pas tout à fait la fin du calvaire de Mme Claustre. Il faut encore faire taire les rumeurs qui courent sur son compte. Non, elle ne s’est pas rendue dans une zone dangereuse sans autorisation. Non, elle n’a pas été la maîtresse d’Hissein Habré. Pierre Claustre a publié, en 1990, un livre intitulé L’Affaire Claustre, autopsie d’une prise d’otage (éd. Khartala), afin de lever les derniers doutes mais, depuis vingt ans déjà, le couple était retombé dans la douce obscurité des gens anonymes, celle que Françoise Claustre avait appelée de tous ses vux au lendemain de sa libération. Elle n’a pas souffert du fameux « syndrome de Stockholm », processus psychologique qui transforme les ex-otages en défenseurs de leurs ravisseurs. Bien au contraire, elle n’a jamais remis les pieds en Afrique, exception faite d’un court voyage en Égypte. Elle s’est reconvertie pour s’intéresser aux sociétés agricoles et pastorales méditerranéennes. Elle se reconnaît en clair-obscur dans le film de 1989 de Raymond Depardon, La Captive du désert, mais n’a jamais rien écrit elle-même sur ses années de captivité. Elle projetait de le faire après la publication de ses recherches. Le destin en a décidé autrement.
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