Afrique du Sud : quand Netflix décroche un Oscar grâce à « La Sagesse de la pieuvre »
Le premier documentaire original produit par Netflix en Afrique du Sud, qui raconte l’histoire d’une amitié au long cours entre un apnéiste et un poulpe, a remporté l’Oscar dans sa catégorie. Plongée dans un film hors normes.
Réalisée par Pippa Ehrlich et James Reed, La Sagesse de la pieuvre a été récompensée ce dimanche 25 avril par l’Oscar 2021 du meilleur documentaire, après avoir remporté le 11 avril le Bafta de la même catégorie. Avec ce film animalier hors normes, nous sommes loin des Big Five (lion, léopard, buffle, rhinocéros, éléphant) des réserves sud-africaines. Les animaux peluches si chers aux documentaires Disney ont laissé place à un céphalopode timide : le poulpe.
« Les gens trouvent souvent que les pieuvres ressemblent à des extraterrestres. Mais bizarrement, si on les observe mieux, elles ont beaucoup de points communs avec nous », remarque en voix off Craig Foster, le narrateur et personnage principal du film.
Caméra en poche
Sujet à la dépression après avoir fait un burn-out, Craig Foster plonge tous les jours, sans combinaison ni oxygène, dans les eaux froides et tourmentées de l’Atlantique. En 2015, lors d’une exploration en apnée à travers l’immense forêt de varech – ces grandes algues qui abritent un riche écosystème –, il rencontre une pieuvre qui va changer sa vie. Il l’observe car elle le fascine. Il décide de retourner la voir et de la filmer quotidiennement tout au long de la courte vie de l’animal.
« Au début, il n’avait pas l’intention d’en faire un documentaire, explique Pippa Ehrlich, coréalisatrice. C’est juste un naturaliste qui aime documenter ses expériences dans la nature. Partout où il va, il a sa caméra dans sa poche parce que c’est sa façon d’appréhender le monde, c’est ce qu’il aime faire. Il savait que cette histoire était très puissante. »
Ce projet a duré huit ans et cumulé 3 000 heures de tournage
Pippa Ehrlich, également plongeuse en apnée et basée au Cap, rejoint le projet en 2017, suivi de James Reed un an plus tard. Avoir deux réalisateurs n’était pas un luxe pour ce projet qui a duré huit ans et a cumulé 3 000 heures de tournage. Aux images personnelles de Craig Foster se sont ajoutées les séquences captées par son ami Roger Horrocks, l’as des tournages sous-marins, crédités dans les documentaires Blue Planet II (BBC) et Our Planet (Netflix). Avec l’intervention de Roger Horrocks, le projet a pris l’ampleur d’un documentaire à succès.
« Craig a longtemps filmé tout seul avec une petite caméra de poing, raconte Pippa Ehrlich. Mais à partir d’un moment, il a vu des choses qu’il pouvait à peine croire. Ça l’a rendu très enthousiaste. Il a appelé Roger et lui a dit : “Tu dois venir voir ce que cette pieuvre peut faire. Elle me laisse la regarder chasser et faire plein d’autres trucs.” » Roger est descendu au Cap avec sa grosse caméra RED Dragon et il a pu filmer certains de ces incroyables actes naturels. »
Netflix ancré en Afrique du Sud et au Nigeria
Avec la distribution de ce documentaire, Netflix renforce son ancrage sur le continent. L’Afrique du Sud apparaît comme le laboratoire privilégié de la plateforme de vidéos à la demande au côté du Nigeria. Les trois séries originales africaines Netflix (Queen Sono, Blood & Water, How To Ruin Christmas) ont été produites en Afrique du Sud, ainsi que la co-production Kings of Jo’Burg. Idem pour les films Seriously Single et Santana (Angola – Afrique du Sud). D’autres sont en préparation.
Pour stimuler la production locale, Netflix s’est associé avec le Realness Institute de Johannesburg. Ensemble, ils financent une résidence d’artistes qui va bientôt accueillir six stagiaires venus du Kenya, d’Afrique du Sud et du Nigeria. Les apprentis recevront 2 000 dollars par mois pendant un trimestre pour accompagner le développement de potentielles productions originales Netflix en Afrique. Au 1er mars, 425 candidatures avaient été reçues.
Écologie émotionnelle
Travailler avec Netflix a été « une expérience incroyable », raconte Pippa Ehrlich, même si le gros de la production a été en partie assuré par son équipe regroupée autour du mouvement Sea Change Project. Avec ce projet, Pippa Ehrlich, Craig Foster, Roger Horrocks et leurs amis nourrissent l’ambition de promouvoir la grande forêt africaine de varech en « icône mondiale ». La vision parfois anthropocentrée du film, ces flots de bons sentiments font partie d’une stratégie de sensibilisation. Les réalisateurs se revendiquent d’une « écologie émotionnelle » censée relier l’homme à la nature.
En apnée, vous avez littéralement l’impression de voler au travers d’une vraie forêt
« J’ai découvert la forêt de varech au début de mes 20 ans, quand je vivais au Cap et que je commençais la plongée en apnée, se souvient Pippa Erhlich. C’est un environnement incroyablement beau, en trois dimensions, où vous avez littéralement l’impression de voler au travers d’une vraie forêt. En Afrique du Sud, la grande forêt de varech est relativement en bon état, nous sommes très chanceux. Mais ailleurs dans le monde, ces forêts disparaissent. »
Ce message en faveur de la protection d’un environnement méconnu semble séduire les jurés du monde entier. Le documentaire a déjà reçu une vingtaine de récompenses dont le British Academy of Film and Television Arts (Bafta) du meilleur documentaire, à Londres, le 11 avril. Et, bien sûr, l’Oscar dans la même catégorie, le 25 avril. Le film tunisien L’Homme qui a vendu sa peau concourait lui à Los Angeles dans la catégorie « films étrangers ».
Cette exposition mondiale profite à la ville du Cap, qui espère attirer de nombreux touristes. Le maire, Dan Plato, ne s’y est pas trompé en félicitant publiquement l’équipe du tournage après l’obtention du Bafta. Sa ville avait déjà servi de décor au film Sugar Man, Bafta et Oscar du meilleur documentaire en 2013.
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