Kofi Yamgnane, un maire franco-togolais face au racisme ordinaire
Dans son nouveau livre, « Mémoires d’outre-haine », l’ancien maire d’une ville française, secrétaire d’État et député, arrivé du Togo en 1964 dans l’Hexagone, dévoile les lettres anonymes, violentes, reçues durant sa carrière politique. Pour montrer que le phénomène existe, et pour en tirer des leçons utiles.
Premier maire noir d’origine africaine en France, élu en 1989 dans un petit village rural du Finistère, Kofi Yamgnane a aussi été secrétaire d’État sous François Mitterrand, conseiller général et député sous les couleurs du Parti socialiste (PS). Arrivé en Bretagne en 1964 avec son baccalauréat en poche, il a intégré une classe préparatoire puis est devenu ingénieur. Un parcours atypique pour l’époque et une vraie réussite personnelle.
Mais la route n’a pas été paisible : personnage public, le maire de Saint-Coulitz a reçu, tout au long de sa carrière, son lot de lettres ordurières, racistes, violentes. Il a choisi d’en faire un livre, Mémoires d’outre-haine. Sans colère, jure-t-il, et dans l’espoir que son message de tolérance soit entendu.
Jeune Afrique : La forme de votre livre est originale puisqu’il est organisé en cinquante-deux contes, des « veillées », avec une morale et un refrain. Pourquoi ce choix ?
Kofi Yamgnane : J’ai opté pour le modèle du conte africain, éducatif et moral, que j’ai connu quand j’étais petit. Cinquante-deux contes pour cinquante-deux veillées hebdomadaires, donc une année. C’est une façon de montrer qu’être intégré, ce n’est pas seulement adopter sa culture d’accueil, c’est aussi l’enrichir. À l’origine, le conte est oral ; ici il est écrit parce que la France est un pays où tout est écrit. C’est une façon de respecter mes deux cultures. Qui ne sont d’ailleurs pas si éloignées l’une de l’autre : en Bretagne aussi il y a une tradition de contes, comme dans le pays bassar, d’où je viens. Cela a dû faciliter mon adoption.
Et puis cette forme permet bien sûr de mettre le sujet à distance. Je voulais raconter sans haine ni colère, parce que, au final, les gens qui m’ont envoyé les lettres qui sont reproduites dans le livre m’inspirent surtout de la pitié.
Beaucoup des messages d’insultes que vous avez reçus remontent à vingt ou trente ans. Est-ce le temps qu’il vous a fallu pour prendre de la distance ?
Je n’aurais pas pu raconter tout ça sur le moment, c’est évident. À l’époque cela m’atteignait beaucoup. J’ai fait le dos rond, mais j’ai beaucoup souffert, j’ai été très déprimé. Il m’a fallu du temps. C’est Laurent Gbagbo qui a dit que le temps, c’est l’autre nom de Dieu…
Certains de vos commentaires sont pleins d’humour. À l’époque, vous est-il arrivé de rire en recevant des lettres stupidement racistes ou violentes ?
Non, jamais. Je savais que je recevais ces courriers parce que j’étais un personnage public, mais je me disais aussi : « Si moi, dans ma position, je reçois ça, quelle doit être la vie d’un Malien qui travaille comme balayeur ou d’un Turc qui est salarié aux abattoirs ? Quand les gendarmes m’arrêtent, ils se mettent au garde-à-vous. Mais quand ils contrôlent ces gens c’est : “Bamboula, aboule tes papiers !” » C’est dramatique et c’est aussi pour eux que j’ai voulu raconter.
Mon épouse m’a dit : « Ne fais pas ça. Tu ne seras jamais élu… »
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