Des signes encourageants

Plusieurs pays africains se lancent dans les services à valeur ajoutée. Mais, pour le moment, les effets sur l’emploi et la création de richesses sont à peine perceptibles.

Publié le 11 septembre 2006 Lecture : 6 minutes.

L’expression « fracture numérique » donne souvent lieu à des statistiques alarmistes. Il est vrai qu’en Afrique le taux de pénétration du téléphone mobile est à peine supérieur à 15 % et que la proportion d’internautes est d’environ quarante pour mille au sud du Sahara. Mais ces statistiques n’expriment pas la réalité des activités de communications et de transmissions de données. Elles sont en train de changer la face du commerce, de l’administration, de l’éducation et de la médecine. Le rapport de la Banque mondiale consacré à l’influence des technologies de l’information et de la communication (TIC) sur le développement (ICT for Development 2006) démontre que les TIC ont un effet multiplicateur dans bien des domaines professionnels (voir tableau). Au plan général, il parvient à la conclusion suivante : « 1 % d’utilisateurs d’Internet supplémentaires se traduit par un progrès de 4,3 % des exportations mondiales et de 3,8 % des exportations des pays pauvres vers les riches ».
Le développement de la sous-traitance sur le continent est l’une des évolutions les plus significatives à ce jour. S’inspirant de l’exemple bien connu de Bangalore, en Inde, plusieurs pays africains se sont donné les moyens d’accueillir des activités fortement consommatrices de main-d’uvre. Avec succès, comme en témoigne la décision du groupe britannique Carphone Warehouse, numéro un de la distribution de produits de téléphonie en Europe, d’investir 20 millions d’euros dans les centres d’appels en Afrique du Sud. Le pays compte une vingtaine de grandes structures au service de clients européens et américains et accueille également une unité de développement de logiciels d’Amazon, le géant international de la vente en ligne.
L’Afrique du Sud et Maurice véritable précurseur, ce petit pays est déjà très actif dans des domaines sophistiqués comme le traitement de tâches comptables ou de flux financiers – ne sont pas les seules réussites africaines. Peu de New-Yorkais savent, par exemple, que l’enregistrement et le règlement de leurs contraventions de stationnement sont gérés à Accra, au Ghana. Les centres d’appels sont également en plein boom en Égypte, où la société d’études de marchés Data Monitor estime que le secteur comptera 7 000 emplois en 2010, contre 1 500 en 2005. La Tunisie, le Maroc, et maintenant l’Algérie, partagent avec le Sénégal la quasi-totalité des délocalisations des entreprises françaises. Ce qui représente une dizaine de milliers de salariés marocains, et presque autant de Tunisiens, les deux pays étant partis premiers dans la course au sein de l’espace francophone.
Mais les TIC ne sont pas seulement responsables d’une augmentation des investissements en Afrique. Elles contribuent aussi à l’amélioration de la productivité. Diverses applications de commerce électronique voient le jour sur le continent, à l’image du site www.onlinebiashara.com, lancé par Pwanitech, au Kenya. La société l’a conçu comme une vitrine sur Internet de la ville de Mombasa, où elle est également installée. Le succès est tel que les entreprises locales achètent de la publicité pour être plus présentes sur le site. L’avènement de services à valeur ajoutée constitue un pas significatif pour un continent qui se contentait jusqu’à présent des richesses de son sous-sol.
Il faudra cependant plusieurs années avant d’obtenir des résultats tangibles et plus encore dans les domaines de l’administration électronique, sans même parler de la médecine ou de l’éducation. « La plupart des projets d’e-administration lancés à ce jour ont échoué, en totalité ou partiellement », relève Richard Heeks, de l’Université britannique de Manchester. L’étude des quelques réussites observées dans ce domaine donne cependant des raisons d’espérer. Il y a seulement cinq ans, la Roumanie était considérée par beaucoup d’économistes comme une cause perdue. Ses services publics étaient inefficaces et nombre de fonctionnaires étaient corrompus. Le pays est aujourd’hui sur le point de rejoindre l’Union européenne. Il doit en grande partie son rétablissement aux nouvelles technologies. Elles ont par exemple permis une économie annuelle de 75 millions de dollars dans l’attribution des marchés publics. Quelque 10 000 fournisseurs ont été répertoriés dans une base de données utilisée par un millier d’organismes. Le fonctionnement est totalement transparent, chacun ayant accès au détail des transactions. Les factures imaginaires (essence, fournitures de bureau, voyages et autres) ont depuis quasiment disparu.
Il existe un nombre croissant d’applications similaires sur le continent, allant de la gestion du foncier au Mozambique au règlement des taxes au Kenya, en passant par la régulation des abattoirs au Botswana, afin de répondre aux contraintes de traçabilité imposées par les clients internationaux. Entre juillet 2005 et mars 2006, la Kenya Revenue Authority a collecté 19,85 milliards de shillings (214 millions d’euros), en hausse de 7 % par rapport à la même période un an auparavant. Maurice possède un système de perception des taxes encore plus sophistiqué, le Contribution Network Project. Tous les règlements émis par les entreprises mauriciennes transitent par le même organisme, qui se charge de redistribuer certains montants tout en réduisant singulièrement les délais de règlement des impôts.
Au Cameroun, le ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative s’est lancé dans la chasse aux fonctionnaires fantômes – une fraude hélas encore assez courante en Afrique subsaharienne. Son système informatique est par exemple capable d’identifier le moment où un employé prend sa retraite et de décider de ne plus lui payer un salaire pour lui verser une pension. À la mise en place de l’application, il est apparu qu’environ deux tiers des anciennes fiches de paie du ministère référaient à des personnes décédées, qui avaient démissionné ou avaient été mutées. Dans d’autres pays, les TIC jouent un rôle fondamental dans l’organisation des élections, notamment dans l’établissement des listes électorales. Avec la mise en place de son portail www.demarches-administratives.gouv.sn, le Sénégal entend faciliter la vie de ses administrés dans l’obtention de papiers et documents officiels et ainsi leur faire gagner du temps et à lui de l’argent.
Encore faut-il une réelle volonté politique pour que les deniers publics ainsi économisés puissent bénéficier à d’autres priorités de développement. À défaut, il y a fort à parier que les montants aboutissent dans la poche de quelque haut fonctionnaire véreux. Il faut également que les infrastructures autorisent l’accès du plus grand nombre d’Africains à toutes ces applications dont certaines, à l’instar du e-learning et de l’e-médecine, leur seront bientôt indispensables, voire vitales. En l’absence de « tuyaux », l’enclenchement de ce processus vertueux que l’on pourrait nommer « e-développement » risque de se faire attendre longtemps encore, clament les plus pessimistes. Le fossé qui sépare l’Afrique du reste du monde est en réalité beaucoup moins profond qu’ils ne croient.
Il n’y a pas si longtemps, le téléphone mobile était un luxe réservé à quelques Occidentaux privilégiés. Grâce au progrès des technologies, à la concurrence – et aux réductions de coûts qu’elles ont permis -, il est aujourd’hui un moyen de communication des plus courants, y compris en Afrique. De la même manière, l’accès à Internet à haut débit s’est singulièrement démocratisé en Europe, jusqu’à toucher cette année près de 20 % de la population dans des pays comme l’Allemagne ou la France. En Afrique, le haut débit est essentiel pour mettre Internet à la portée du plus grand nombre et la norme WiMAX permet sa mise à disposition sans fil sur des distances allant jusqu’à 50 km autour de l’émetteur. Ces promesses sont déjà une réalité à Bamako (Mali) et à Maputo (Mozambique). D’autres capitales africaines les rejoindront rapidement et d’autant plus vite qu’un nombre croissant de gouvernements considèrent qu’Internet à haut débit n’est pas un luxe, mais une composante fondamentale du développement économique.
Il en est une autre, et non des moindres : les compétences humaines. L’Afrique doit disposer d’ingénieurs en informatique, de techniciens en communications mobiles, de téléopérateurs qualifiés et de commerciaux spécialisés. Il faut aussi renforcer l’enseignement en mathématiques, en sciences et en informatique. Mission impossible ? Voire. Des avancées impressionnantes ont été réalisées ces dix dernières années sur le continent. Qui aurait pu prédire, en 1996, qu’un petit pays d’Afrique centrale à peine sorti du cauchemar serait, dix ans plus tard, un centre sous-régional d’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication ? C’est pourtant le défi que s’est lancé le Rwanda, choisi par Microsoft et les Nations unies comme site pilote de plusieurs applications innovantes. Pour les dix années à venir, tous les espoirs sont permis.

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