Ciao Poto-Poto !

La célèbre École de peinture congolaise a rendu hommage à Pierre Savorgnan de Brazza, le 10 septembre, à Rome.

Publié le 11 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Moungali, un quartier populaire de Brazzaville. Dans une rue bruyante, non loin du rond-point, un mur pas très haut protège une concession. À l’intérieur de la cour, une jeune femme est assise, seule, et sirote un verre. Le visiteur remarque à quelques mètres de là un bâtiment dont l’architecture, assez avant-gardiste, rappelle une chapelle. La toiture semble vouloir embrasser la terre et cacher le reste. Mais comment ne pas voir les couleurs criardes de tous ces tableaux adossés, accrochés au mur et dont les auteurs, assis dans la véranda, devisent en vous scrutant, indifférents au tumulte de la rue ? La salle d’exposition attise les regards. En faisant le tour du bâtiment, on croise des artistes en pleine création. Tous les styles cohabitent. Bienvenue à l’École de peinture de Poto-Poto. Et comme son nom ne l’indique pas, elle ne se trouve pas dans le quartier Poto-Poto, mais à Moungali !
L’histoire de cette école de peinture remonte à 1951. À l’époque, Brazzaville est la capitale de l’Afrique-Équatoriale française (AEF). Pierre Lods, lieutenant de l’armée française et artiste dans l’âme, crée ce qu’il appelle l’Atelier d’art africain. Dans son esprit, les Africains devaient plutôt s’inspirer des réalités de leur univers, au lieu d’imiter les peintres européens. À ses disciples, il martèle son credo : « Ne reproduisez que ce qui vient de votre environnement. » Un style naît : mike (pluriel de moke, « petit », « mince », en lingala). Les personnages représentés – formes effilées, longilignes – évoquent, à quelques nuances près, certains dessins animés, façon Walt Disney. Pour leurs créateurs, ces personnages symbolisent la vie africaine dans toute sa spécificité. En 1960, le Congo accède à l’indépendance. L’Atelier d’art africain n’a plus de subvention. Mais les peintres n’abandonnent pas les pinceaux. En 1964, l’Atelier devient l’École de peinture de Poto-Poto. Deux ans après, son représentant se voit décerner un prix au Ier Festival mondial des arts nègres, à Dakar (Sénégal).
Pierre-Claver Ngampio, président de l’École (il y officie depuis trente ans), se rappelle les moments difficiles de l’époque du marxisme-léninisme triomphant. « Nous passions des mois et des mois sans rien vendre, confie-t-il. Seuls les Russes achetaient nos tableaux et nous payaient avec des livres sur le socialisme ! Les Chinois, Cubains et tous les autres camarades n’étaient pas intéressés. » D’où sa maxime : il faut avoir foi en ce qu’on fait, même si on n’a rien dans la poche.
Des années durant, l’École de Poto-Poto a fonctionné en coopérative, avant de se transformer en association, en 1990. Aujourd’hui, elle regroupe dix-sept peintres professionnels, dont quatre femmes. Sur chaque tableau vendu, l’École prend 30 %. Cela permet, affirme Pierre-Claver Ngampio, « de venir en aide à ceux qui n’ont rien vendu ». Les prix des uvres varient de 10 000 (15 euros) à 500 000 F CFA. Le tableau le plus cher a coûté 750 000 F CFA. C’était après la guerre civile, à la fin des années 1990. La période la plus fructueuse va de juin à septembre : les artistes peuvent ainsi vendre en moyenne seize à vingt tableaux par mois. À ce rythme, l’art nourrit-il son homme ? « Les gens qui viennent ici sont surpris quand nous leur disons que nous sommes des pères de famille, avec ce que cela comporte de charges, de responsabilités, explique Ngampio. Franchement, nous n’envions pas les fonctionnaires. Nous avons toujours des expositions, des ventes. » Mais qui achète ? Là aussi, surprise : ce ne sont pas les Européens, contrairement à certains clichés. Les clients les plus fidèles de l’École de Poto-Poto sont des Africains, essentiellement des fonctionnaires internationaux originaires d’Afrique occidentale (Sénégalais, Béninois, Ivoiriens) affectés à Brazzaville. Les Européens, précise le président de l’École, « achètent moins que les Ouest-Africains. Ils viennent surtout visiter notre exposition permanente. »
L’École de Poto-Poto c’est aussi la formation. Chaque année, des jeunes viennent y effectuer trois années d’études. Pendant trois mois, ils apprennent d’abord la théorie avant de passer à la pratique. Si la technique et sa maîtrise sont importantes, les formateurs insistent beaucoup sur l’inspiration, sans laquelle la technique ne sert à rien. « Si, parmi les élèves, il y en a qui sortent du lot, on les garde, souligne Pierre-Claver Ngampio. Mais à une seule condition : qu’ils apportent un nouveau style. » Évidemment, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Parmi les élus, une jeune peintre de 24 ans, Lætitia Mahoungou. Originaire de Pointe-Noire, elle n’avait qu’une ambition en arrivant à Brazzaville : trouver une école pour suivre une formation en secrétariat. Pourtant, depuis son enfance, elle aime dessiner. Après avoir entendu parler de l’École de Poto-Poto, la jeune fille n’hésite pas un seul instant et décide de se consacrer à la peinture. La voilà donc inscrite à la fin de l’année 2002. Malgré son retard, Lætitia Mahoungou apprend vite. Pendant un an, elle se contente d’abord de reproduire ce que demandent les professeurs, dessine la nature, travaille avec la gouache, tente des mélanges, reproduit les uvres des autres. En deuxième année, elle doit créer elle-même. Il lui faut trouver de l’inspiration pour faire exister ce qui n’est pas, tout en partant d’images réelles. « Ce n’était pas facile d’équilibrer un sujet dans un grand tableau », se souvient-elle. Elle vend sa première uvre en 2004. Au bout de trois ans, Lætitia est intégrée au sein de l’équipe. Ses deux premières grandes toiles lui rapportent 100 000 F CFA, après déduction du pourcentage destiné à l’association. Aujourd’hui, cette artiste, considérée comme l’une des valeurs sûres de l’École de Poto-Poto, ne cache pas son bonheur : « L’École m’a beaucoup apporté. Depuis que je suis ici, je sais ce qu’il faut faire, comment le faire et dans quelle direction aller. Cette école c’est tout pour moi. Grâce à mon travail, je m’en sors et je ne dépends plus de personne. » Son ambition est de toujours innover à partir de ce qu’elle voit dans la nature.
Mondialement connue, l’École de Poto-Poto a exposé le 10 septembre à la mairie de Rome, en Italie. Tout est parti d’une commande de tableaux provenant de la famille de l’explorateur français d’origine italienne Pierre Savorgnan de Brazza, dont les restes mortuaires sont attendus dans quelques semaines à Brazzaville. Le souhait de ses descendants est de faire connaître l’explorateur en Italie. À cette occasion, neuf artistes ont réalisé une dizaine de toiles qu’ils ont exposées dans la capitale italienne. Pour Pierre-Claver Ngampio, « c’est le plus grand événement depuis la création de l’École ».

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