Le bout du tunnel ?

La signature le 20 août d’un accord politique entre le pouvoir et l’opposition devrait se concrétiser par la formation d’un gouvernement d’union nationale. En attendant les législatives et la reprise de la coopération avec l’Union européenne.

Publié le 11 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Les Togolais attendaient cela depuis une quinzaine d’années : le règlement de la crise politique, qui a fini par mettre leur pays à genoux. En moins d’un mois, la médiation du président burkinabè Blaise Compaoré a permis de parvenir à un consensus. Un « accord politique global » a été paraphé le 20 août à Lomé par les délégations du gouvernement, du Rassemblement du peuple togolais (RPT, au pouvoir) et des cinq principaux partis d’opposition (UFC, CDPA, CAR, CPP et PDR). Les signataires se sont mis d’accord sur la composition de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) ; ils ont également décidé de former un gouvernement d’union nationale et de réviser les conditions d’éligibilité à la présidentielle. Porteur d’espoir, « l’accord politique global » n’en laisse pas moins entières des questions de fond, notamment le choix du mode de scrutin ou la réforme de l’armée. Reste qu’après une longue mésentente une lueur d’espoir pointe à l’horizon. D’autant que le récent accord devrait contribuer à faire revenir les bailleurs de fonds internationaux, ce dont Lomé a bien besoin.
Le Togo souffre. Dix-neuf mois après le décès du « père de la nation », Gnassingbé Eyadéma, dont le régne aura duré trente-huit ans, le pays tente d’enfanter d’un nouvel ordre. Dans la douleur. Élu le 24 avril 2005 aux termes d’une transition chaotique, Faure Gnassingbé, fils de l’ex-timonier, est aujourd’hui assis dans le fauteuil de son défunt père. Si, au cours des dernières années de sa vie, Eyadéma vivait et travaillait dans sa résidence familiale de Lomé II, Faure a installé ses bureaux dans l’ancien palais de la présidence, situé sur le front de mer.
Le chef de l’État a changé de prénom, mais son entourage reste sensiblement le même. Les habitués de Lomé II sous Gnassingbé père s’y retrouvent aujourd’hui, quelquefois avec des titres différents : Pitang Tchalla, Barry Moussa Barké, Charles Debbasch, Dama Dramani Les apparences du pouvoir ont évolué, sa substance demeure…
Faure gouverne un pays meurtri, endeuillé par les dernières violences postélectorales – plus de quatre cents personnes, selon l’ONU, ont été tuées dans les jours qui ont précédé et suivi la présidentielle d’avril 2005. Mais également appauvri par des crises politiques à répétition et l’embargo imposé par la communauté internationale. Lomé porte tous les stigmates de quinze années de régression généralisée. Vitrine d’un pays prometteur surnommé « la Suisse de l’Afrique » dans les années 1980, la capitale n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Sitôt sorti de l’aéroport Gnassingbé-Eyadéma, le visiteur ressent une impression de décrépitude ambiante. Les façades des bâtiments administratifs, hérités de la période coloniale, s’écaillent, s’effritent, se décolorent Le boulevard de la Marina, qui longe le littoral du port jusqu’à la frontière ghanéenne, a perdu de son éclat. Sur la plage, pêcheurs et marchands ambulants partagent l’ombre des cocotiers avec les promeneurs. Mais la chaussée qui longe le sable est défoncée. Le bitume est miné par les nids-de-poule dans lesquels stagnent les eaux de pluie, faute de canalisations. Les ordures s’amoncellent sur de nombreuses artères de la ville, favorisant les invasions de moustiques et la propagation d’odeurs pestilentielles.
Pour rendre son éclat d’antan à cette métropole d’un million d’habitants, la mairie de Lomé a mis au point un ambitieux « programme de renaissance » destiné à réhabiliter la voirie urbaine, réorganiser le système d’assainissement dans les quartiers les plus mal lotis, comme Gbadago, redynamiser le système de collecte des ordures, éliminer les nombreux dépotoirs sauvages, réguler l’écoulement des eaux pluviales, étendre le réseau – de plus en plus restreint – d’éclairage public, améliorer les services de base (eau potable, centres de santé, écoles)… Mais également lutter contre la pauvreté urbaine, vaste chantier dans ce pays où se multiplient les signes révélant l’indigence de la population.
Les sans-abri pullulent. Les maquis accueillent des jeunes désuvrés venus noyer leur mal de vivre dans la Primus ou la Heineken. Le travail est introuvable. Des diplômés en sont réduits à des tâches subalternes. Tel André, licencié en droit de l’université de Lomé, aujourd’hui conducteur de zémidjan, ces taxis-motos qui sillonnent les artères de la capitale pour déposer des passagers moyennant la somme de 50 à 250 F CFA la course. « Après mes études, confie-t-il, je suis resté six ans au chômage. Ayant tenté d’émigrer en France pour poursuivre mes études, je n’ai pas réussi à obtenir de visa. J’ai été contraint de faire ce métier pour pouvoir subvenir aux besoins de mes deux parents et mes six frères et surs. »
Signe de la résignation des Togolais, la population, éprouvée par un quotidien douloureux, cherche refuge dans une nouvelle ferveur religieuse, ce qui suscite une prolifération des Églises de réveil. Les salles de prière se multiplient, et ils sont de plus en plus nombreux à vouloir exercer le métier hautement rémunérateur de prédicateur. Pour « répandre la bonne parole », les nouveaux « hommes de Dieu » remplissent des stades entiers de leurs fidèles, vendent des CD comme des stars de musique ou écoulent les livres de prières comme des auteurs à succès.
Les tradipraticiens, « spécialistes » de la médecine traditionnelle, sévissent également de leur côté. Appelés « docteurs » ou « professeurs », ils sont l’ultime recours pour une population que le coût des consultations et celui des médicaments ont conduit à déserter les hôpitaux. Réputés détenteurs du secret des esprits, ils proposent de pratiquer une césarienne pour 1 000 F CFA, alors que les médecins réclament cent fois plus pour la même opération… « Les charlatans sont dangereux, explique le chef du département de sociologie de l’université de Lomé, Essè Aziagbébé Amouzou. Ils prétendent pouvoir guérir de nombreuses maladies, y compris le sida. Leurs patients meurent au bout de quelques semaines, faute de diagnostic et de soins adaptés à leurs souffrances. Mais les malades considèrent que tout ce qui est spirituel peut conduire à leur guérison. Aussi préfèrent-ils recourir à ces personnes d’autant plus légitimes à leurs yeux qu’elles passent à la télévision. »
Pour limiter les dégâts, la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC, organe de régulation des médias) a interdit aux radios et aux télévisions privées du pays de diffuser les spots publicitaires payés par les quelque 500 « docteurs » officiant dans le pays. Censée prendre effet à partir du 1er octobre prochain, la mesure vise à stopper les annonces sur des médicaments ou méthodes thérapeutiques non homologués par le ministère de la Santé. Elle a suscité une réaction énergique de l’Union des radios et télévisions libres du Togo (Uratel) qui se voit ainsi privée d’une importante source de recettes publicitaires.
Ainsi va le Togo, dont les habitants tentent, par tous les moyens, de trouver des solutions à leurs multiples problèmes quotidiens. Certes, la population a accueilli avec circonspection la signature de « l’accord politique global » du 20 août dernier. En espérant que ce document ouvre enfin la voie de la normalisation. Les fruits tiendront-ils la promesse des fleurs ? Ce petit pays, aussi peuplé qu’une grosse ville nigériane, coincé entre le Ghana et le Bénin, en a besoin. Plus que jamais…

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