Mohammed VI, un roi (pan)africain

Pour sa deuxième tournée au sud du Sahara en moins d’un an, Mohammed VI a mis l’accent sur les relations économiques. À la tête d’une armée d’investisseurs, il a surtout parlé partenariat agricole, développement humain et business…

Le roi Mohammed VI à Conakry, en mars 2014. © Cellou Binani/AFP PHOTO

Le roi Mohammed VI à Conakry, en mars 2014. © Cellou Binani/AFP PHOTO

Publié le 14 mars 2014 Lecture : 7 minutes.

Embouteillage de valises, club-sandwichs avalés en vitesse au bar, éclats de rire et dernières confidences, il règne une ambiance joyeuse, ce vendredi 7 mars, dans le hall de l’hôtel Méridien Re-Ndama de Libreville. Un air de colonie de vacances sur le chemin du retour. Pendant près de trois semaines, une délégation forte d’une centaine de personnalités – ministres, membres du cabinet royal, patrons d’entreprises publiques et privées – a accompagné Mohammed VI au Mali, en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Gabon.

Ce soir, le vol spécial de la RAM pour Casablanca sera l’occasion pour eux de faire un premier bilan. Fatigués par le rythme des déplacements – certains sont peu habitués au climat tropical -, mais le regard brillant, tous sont satisfaits d’avoir noué des contacts utiles, signé des contrats, et éprouvent même un peu de fierté d’avoir participé à la « team Maroc » qui, depuis le 18 février, a enchaîné inaugurations de projet, rencontres de haut niveau et forums d’affaires. Au Mali et en Guinée, la visite avait une coloration à dominante politique, tandis qu’en Côte d’Ivoire et au Gabon, deux pays que Mohammed VI a déjà visités en 2013, on est entré rapidement dans le vif du sujet.

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On tombe la cravate et on se parle en toute franchise

Même pour les patrons rompus aux voyages officiels, il s’est passé quelque chose de nouveau durant ce long déplacement. « Nous ne nous sommes jamais autant vus que pendant ces trois semaines. Des rencontres programmées à l’automne ont finalement été expédiées pendant le voyage », confie ainsi Mostafa Terrab, président d’OCP et véritable star de l’étape librevilloise. Devant le président Ali Bongo Ondimba et Mohammed VI, le patron du leader mondial des phosphates a présenté un partenariat stratégique pour doper la consommation d’engrais en Afrique. Un investissement de 2 milliards d’euros et des implantations industrielles dans les deux pays. On aperçoit le patron Saïd Alj, bras dessus, bras dessous avec Aziz Rebbah, le ministre (islamiste) de l’Équipement et des Transports. Dans un coin, le conseiller royal Taïeb Fassi-Fihri est en discussion avec Ahmed Toufiq, ministre des Affaires islamiques. Ici, c’est la patronne des patrons, Meriem Bensalah-Chaqroun, qui vient saluer le ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar. Tout ce beau monde se connaît et se fréquente, entre Casablanca et Rabat, mais dans un tel contexte on tombe la cravate et on se parle en toute franchise. « Qu’ils soient grands patrons ou commis de l’État, les décideurs marocains ont rarement l’occasion de sortir de leur zone de confort », commente un proche du Palais.

En plus des traditionnels opérateurs de la banque (BMCE, Attijariwafa, Banque populaire), des assurances (CNIA, RMA-Wataniya), de l’immobilier (Addoha, Alliances) et des télécoms (Maroc Télécom), de nouveaux secteurs économiques ont montré le bout de leur nez, y compris en dehors des pays visités ; en pleine tournée royale, le groupe Holmarcom a ainsi lancé la deuxième tranche d’un programme immobilier à 30 km de Dakar (Sénégal), pour un budget global de 700 millions de dirhams (62 millions d’euros).

Filiale du groupe Addoha, Ciments d’Afrique (Cimaf) a présenté son projet de cimenterie au Gabon aux deux chefs d’État. Au même moment, l’entreprise s’implantait au Ghana avec une autre cimenterie (600 millions de dirhams) et un vaste projet de logements sociaux (estimé à 2,5 milliards de dirhams). À l’avenir, le groupe spécialisé dans l’immobilier et la construction vise la Mauritanie, l’Angola, le Bénin, le Liberia, le Rwanda, la Tanzanie. Tout indique que les grands patrons ont compris que leur avenir se jouait sur le continent. Une invitation à « triompher de l’afropessimisme » que Mohammed VI a martelée lors de son discours d’Abidjan.

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À Libreville, « il est chez lui »

Prononcé le 24 février lors du forum d’affaires qui a réuni, au Sofitel Ivoire, des centaines de chefs d’entreprise marocains et ivoiriens, le discours d’Abidjan est déjà perçu comme une feuille de route royale. Dans la droite ligne de son adresse à la conférence des ambassadeurs d’août 2013, M6 a mis l’accent sur la diplomatie économique : « Auparavant, la diplomatie était au service de la consolidation des relations politiques. Aujourd’hui, c’est la dimension économique qui prime. » Pour les opérateurs, une telle implication royale est d’ailleurs la bienvenue. Dans la réalité, les entrepreneurs marocains en Afrique savent devoir compter sur leurs ressources propres.

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« Au Gabon, où je travaille depuis quelques années, je n’ai jamais contacté l’ambassade du Maroc », confie un patron du secteur des services. Pour entrer dans le jeu, un investisseur doit pourtant être introduit, disposer des bons contacts, et les relations d’État à État ne suffisent pas à garantir un avantage. À Abidjan, Mohammed VI l’a affirmé sans détour : « Il n’y a plus de terrain acquis, pas plus qu’il n’y a de chasse gardée. Ce serait une illusion de croire le contraire. » Comprendre : l’Afrique est un continent ouvert à la concurrence, pas seulement à celle des Occidentaux ou des nouveaux géants asiatiques.

Pour le roi, « l’Afrique est un grand continent, par ses forces vives, ses ressources et ses potentialités. Elle doit se prendre en charge, ce n’est plus un continent colonisé. C’est pourquoi l’Afrique doit faire confiance à l’Afrique. Plus que d’une aide humanitaire, c’est de projets de développement humain et social dont notre continent a le plus besoin ». Les esprits chagrins s’étonneront de voir le Maroc, pays en quête d’une croissance plus équitable, se projeter hors de ses frontières et se préoccuper de développement à l’échelle de toute l’Afrique.

Confiance

En Guinée, un pays récemment encore secoué par des flambées de violence, la visite royale a été perçue comme un signe de confiance. « Nous ne sommes pas venus donner des leçons mais en pays ami, prêt à travailler en partenariat avec le gouvernement guinéen, selon ses priorités », a tenu à préciser Salaheddine Mezouar. Oubliés, les petits aléas d’organisation et même la tension palpable des services de sécurité marocains. Dans le secteur des mines comme dans l’agriculture, les besoins d’investissement sont là, et les opérateurs marocains sont bien décidés à s’en saisir.

« Une Afrique dynamique et développée n’est pas un simple rêve pour demain, cela peut être une réalité d’aujourd’hui, mais à la condition d’agir. » Dixit Mohammed VI, qui a émis le souhait pendant son séjour de revenir plus souvent, voire d’acquérir une résidence sur place dans la station balnéaire d’Assinie, à 80 km d’Abidjan. À Libreville, « il est chez lui », explique Fortuné, chauffeur de taxi. Et de rappeler que le souverain dispose d’une magnifique villa, idéalement située à la Pointe-Denis, le lieu de villégiature privilégié des happy few locaux, où il aime à s’adonner aux joies du jet-ski.


M6 accueilli par Ibrahim boubacar Keïta, le 18 février à Bamako. © Habibou Kouyate / AFP

Une stratégie utile de branding religieux

Lors de sa tournée, le roi s’est aussi appuyé sur son statut de Commandeur des croyants. À chaque étape, la Fondation Mohammed VI pour l’édition du saint Coran a offert aux pays hôtes 10 000 exemplaires du Coran. Au Mali et en Guinée, deux pays très majoritairement musulmans, l’accueil qui lui a été réservé a surpris jusqu’aux Marocains eux-mêmes, parmi lesquels des membres de la délégation officielle. « À Conakry, la ferveur des Guinéens était inimaginable.

Seule une visite du pape provoque une intensité émotionnelle comparable », s’exclame Khalil Hachimi Idrissi, directeur de l’agence de presse MAP, laquelle résumait ainsi l’ambiance : « Des dizaines de milliers de Guinéens ont quitté leur foyer pour se masser le long de la route menant de l’aéroport à la résidence du souverain, longue de près de 20 km, pour souhaiter la bienvenue à SM le Roi. » Dans ce pays, les autorités religieuses ont remercié Mohammed VI pour l’offre de formations d’imams au Maroc, un programme lancé avec le Mali et qui comprend des cours de théologie et d’informatique. L’objectif est de contrer l’influence des courants radicaux financés par les pétrodollars du Golfe.

Branding

« Le Maroc déploie une stratégie utile de branding religieux, à l’heure où les pays occidentaux s’inquiètent des dangers terroristes au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Le royaume ne fait que réactiver un récit national remontant à la période médiévale », analyse Ismaïl Regragui, chercheur au Centre d’études et de relations internationales (Sciences-Po) à Paris.

Véritable fil rouge de ce voyage, le Sahara occidental a été au centre des entretiens bilatéraux entre Mohammed VI et ses homologues des quatre pays, soutiens traditionnels du Maroc ou alliés plus récents, à l’image du Mali, où le président Ibrahim Boubacar Keïta a salué les « efforts sérieux et crédibles » de Rabat en vue d’un règlement pacifique du conflit. À la veille d’une énième résolution du Conseil de sécurité sur la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso), le retour du Maroc en Afrique, trente ans après son retrait de l’organisation de l’unité africaine (OUA), se fait pressant.

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