Guinée : les déguerpissements sont-ils légaux ?

Lancé en 2016, le déguerpissement des voiries publiques s’est accéléré ces dernières semaines. Mais parfois conduites sans base légale, ces opérations ont suscité la colère des habitants dont les maisons ont été détruites. Le Premier ministre promet des sanctions le cas échéant.

Les boutiques sans permis de construction ont été démolies au Marché Niger de Conakry. Photo d’illustration. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Les boutiques sans permis de construction ont été démolies au Marché Niger de Conakry. Photo d’illustration. © Sylvain Cherkaoui pour JA

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Publié le 20 avril 2021 Lecture : 4 minutes.

Lors des nuits des 12 et 13 avril, Conakry a enregistré les premières pluies de 2021, accompagnées d’un vent violent. Le lendemain, des ruelles boueuses étaient jonchées des déchets drainés par les eaux de ruissellement puis ramassés dans les bennes à ordures du turc Albayrak, partenaire des autorités guinéennes en matière d’assainissement.

Mais pour certains Conakrykas comme Mamadou Bah, rencontré devis en main au quartier Hafia 2, l’insalubrité est une préoccupation moins pressante que celle d’avoir un toit pour s’abriter des pluies. Dans ce quartier de la commune de Dixinn, les opérations de libération des emprises des voiries publiques, engagées en 2016 par le ministère de la Ville et de l’Aménagement du territoire, ont provoqué des déguerpissements sans ménagement.

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« Ils ont démoli ma maison en notre absence »

Le 1er mars, un bulldozer du génie militaire a fait irruption dans le quartier et démoli plusieurs concessions pour tracer une nouvelle route. Les victimes de l’opération ont de sérieux doutes quant à la régularité des travaux. « Ils ont démoli ma maison en notre absence, déplore Mamadou Bah, qui a trouvé refuge avec sa famille chez des voisins. L’ordre du gouvernement, c’était de libérer les emprises des routes et non de créer une nouvelle voie ou de procéder à un nouveau lotissement. Une équipe du ministère de la Ville est venue certifier qu’aucun tracé de route n’est prévu sur l’emplacement de ma maison. »

Sa voisine, Hawa Sow, a dû mettre la main à la poche pour qu’on épargne son four à pain qui nourrit, depuis le décès de son mari en 2008, ses sept enfants et ses trois petit-fils. « Quand le bulldozer a donné un premier coup sur le four, j’ai crié, raconte la veuve. Depuis la mort de mon mari, avec mes enfants qui ont fini d’étudier mais qui n’ont pas de travail, nous dépendons de ce four. Ils m’ont demandé de leur donner trois millions de francs. Finalement, je leur ai donné 2, 5 millions, pris à crédit avec le chef des boulangers. Après, leur chef a ordonné d’arrêter ».

Tous ceux qui ont des titres fonciers, l’État s’engage à les rembourser

À Kénendé, dans la ville de Dubréka située à 50 km à l’est de Conakry, des démolitions d’habitations ont également été enregistrées début mars. « Nous avons été surpris de voir des gens venir avec des militaires pour casser nos maisons. Quand nous avions acheté ce terrain il y a onze ans, aucune autorité ne nous a signifié qu’il s’agissait d’une zone réservée. Ils ont tout cassé, j’ai tout perdu », se désole Yéro Tala Diallo. Selon lui, une soixantaine de maisons ont été détruites en même temps que la sienne.

« Des sanctions seront prises »

Le 7 avril, alors qu’il livrait son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, avait martelé la consigne du gouvernement à propos des opérations de déguerpissement. « L’instruction du président, c’est de libérer les emprises des routes. Mais que les gens aillent dans les quartiers casser des maisons, nous ignorons d’où vient l’ordre », avait-il assuré. Avant de renchérir : « Tous ceux qui ont des titres fonciers, l’État s’engage à les rembourser. C’est une décision ferme du président et je suis appelé à y veiller. J’ai demandé au ministre de l’Urbanisme de s’organiser pour recenser toutes les maisons irrégulièrement cassées. La lumière sera faite, des sanctions seront prises contre ceux de l’administration qui ont permis cela. »

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Mais avec la saison des pluies qui s’annonce, les victimes n’ont d’autre choix que de financer elles-même la reconstruction de leur maison. Du moins celles qui en ont les moyens. « Le maire de Dixinn est venu voir les dégâts. Il nous a réunis avec le colonel qui a piloté les opérations pour lui demander s’il détenait un ordre de mission. Ce dernier a répondu par la négative. La directrice de l’Habitat de la commune a pour sa part dit n’avoir donné aucune consigne dans ce sens. Dans ce cas, pourquoi ne pas arrêter celui qui est venu avec le bulldozer démolir ? », s’interroge Mamadou Bah, qui a presque achevé de reconstruire les murs de sa maison démolie, « avec l’autorisation du maire », s’empresse-t-il de préciser. « Ce sont des dépenses imprévues, mais avec la pluie, nous n’avons d’autre choix. J’ignore le coût total des dépenses pour le moment, surtout en cette période de fluctuation des prix », ajoute-t-il.

« Abus » et faille légale

Le Conseil national des organisations de la société civile (Cnosc) a ouvert une enquête sur le déroulement des opérations. Les résultats feront l’objet d’un rapport attendu en fin de semaine. Mais le président du Cnosc admet d’ores et déjà des « excès » et esquisse les responsabilités.

Les cadres chargés de l’opération ont commis des abus, voire se sont livrés à des règlements de compte par endroit

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« Il y a eu un certain amateurisme de la part des agents sur le terrain, qui se sont contentés de dire qu’ils avaient reçu des ordres, tout en restant incapables de fournir une base légale, explique Dansa Kourouma à Jeune Afrique. L’opération a été sélective par endroits : elle a visé des couches vulnérables et épargné les gros bonnets. Il y a des habitations construites sur des emprises de route, mais il y a bel et bien eu des maisons démolies qui n’étaient pas dans cette situation. Les cadres chargés de l’opération ont commis des abus, voire se sont livrés à des règlements de comptes par endroit. Des excès ont été commis. »

Dansa Kourouma déplore aussi le flou juridique entourant ces pratiques : absence de délai de préavis, de commission de réclamations, de fonds d’indemnisation. Une faille qui facilite, selon lui, ces déguerpissements illégaux.

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