Le pays le plus jeune du monde
Plus de la moitié de la population a moins de 18 ans. Du jamais vu. Curieusement, l’explosion démographique n’inquiète guère les responsables politiques.
«J’ai refusé plusieurs jobs ailleurs parce que le défi est ici », m’explique le Dr Jonathan Musinguzi. Cet ancien obstétricien-gynécologue à la voix douce et posée dirige le secrétariat à la Population de l’Ouganda, organisme qui conseille le gouvernement en matière de politique démographique. « Notre population est-elle une richesse ou est-elle l’obstacle sur lequel buteront tous nos progrès ? C’est une question que je n’arrête pas de me poser. »
Après avoir essuyé une terrible guerre civile puis connu dans les années 1990 un taux de prévalence du sida culminant à 30 %, l’Ouganda affiche aujourd’hui un des taux de croissance démographique les plus élevés au monde. Il compte deux fois plus d’habitants qu’il y a vingt ans, et il en aura encore deux fois plus en 2030, c’est-à-dire 60 millions. En 2050, le pays devrait totaliser 103 millions d’habitants, plus que la Russie. Mais ce n’est pas tant la taille de la population que sa structure qui interpelle le Dr Musinguzi. L’Ouganda est le pays le plus jeune du monde, avec plus de la moitié (56 %) de sa population âgée de moins de 18 ans.
La question à laquelle le Dr Musinguzi ne trouve pas de réponse est légitime. D’une certaine façon, l’Ouganda suit une voie qu’ont empruntée d’autres pays et qui les a conduits à la prospérité. Comme les autres nations d’Afrique, du Moyen-Orient et du Sud-Est asiatique, il vivra dans les décennies à venir les différentes phases de la transition démographique que d’autres sociétés ont connue aux XIXe et XXe siècles.
Le processus est marqué dans un premier temps par une croissance rapide de la population, car, du fait des améliorations dans le domaine de la santé publique, le taux de mortalité diminue plus rapidement que celui de la natalité. La population peut doubler, voire tripler, en deux ou trois générations, même si celles-ci commencent à avoir moins d’enfants. Avec le développement, le taux de fécondité diminue, et le pays se trouve dans la situation avantageuse où la population en âge de travailler est à la fois plus nombreuse que celle des jeunes et que celle des personnes âgées. Les bénéfices peuvent être énormes. L’Europe et les États-Unis ont touché la plus grande part de leur bonus démographique dans la seconde moitié du XXe siècle. Un pays comme la Chine, dont la natalité a considérablement diminué avec la mise en ÂÂuvre de la politique de l’enfant unique, en profite actuellement.
Avec un taux de fécondité de sept enfants par femme, l’Ouganda n’en est pas là. Il ne devrait bénéficier du bonus démographique qu’en 2045 au plus tôt. Mais il est tout aussi possible qu’il emprunte une voie différente. Les pays en développement, surtout en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient, connaissent des taux de croissance démographique inédits. Celui de la Grande-Bretagne au moment de sa révolution industrielle n’a jamais dépassé 1,5 % par an. Celui des États-Unis au plus fort du baby-boom des années 1950 a atteint 2,05 %. La population de l’Ouganda, elle, devrait croître de 3,6 % en 2008.
Museveni Optimiste
Plus encore que son ampleur, ce sont les conditions dans lesquelles cette explosion se produit qui suscitent le plus d’interrogations. La vague de jeunesse de ce début de XXIe siècle s’abat sur des sociétés qui ne sont nullement équipées pour la recevoir. Les success stories démographiques se sont jusqu’ici appuyées sur des économies fortes. En Asie, entre 1993 et 2003, la croissance du produit national brut a dépassé celle de la force de travail. Rien de tel en Afrique subsaharienne, où, pendant la même période, la croissance du PNB, 2,9 % en moyenne annuelle, a été annulée par celle de la force de travail, qui s’est élevée à 2,8 %.
Curieusement, la plupart des Ougandais ne pensent pas que leur pays a un problème de population. C’est l’avis du premier d’entre eux, Yoweri Museveni. Lorsque, à l’issue du recensement de 2002, on lui a annoncé comme une catastrophe que son pays dépasserait 100 millions d’habitants en 2050, le président a rétorqué qu’un tel chiffre était un objectif plus qu’un motif de préoccupation.
Namirembe Bitamazire, l’indéboulonnable ministre de l’Éducation et alliée de longue date de Museveni, partage les convictions du chef de l’État. Elle a la charge d’un système qui devra former deux fois plus d’enfants dans quinze ans, quand bien même on ne compte aujourd’hui qu’un professeur pour 54 élèves et que 4,5 % seulement des enfants scolarisés terminent le cursus secondaire.
Même optimisme chez Charles Mbire, qui dirige la branche ougandaise de MTN, la société sud-africaine de téléphonie mobile. Pragmatique, l’homme d’affaires veut d’abord des consommateurs, et jeunes. « Je suis satisfait, me confie-t-il. Mon marché est en pleine expansion. » Depuis le début de ses activités locales en 1999, MTN est passée de 7 000 clients à 2,5 millions et a vu l’âge moyen des utilisateurs de mobiles tomber de 24 ans à 17 ans. Cette compagnie ?est désormais le premier contribuable du pays.
Diplômé de quoi ?
Mbire n’ignore pas les risques de l’explosion démographique : « La croissance incontrôlée de la population amènera une population insatisfaite, ce qui conduira à des révolutions », prophétise-t-il. Mais l’instinct commercial reprend vite le dessus. Pour lui, la croissance démographique apporte au pays une force de travail dont certains pays riches ont un besoin crucial. Lors de notre entretien, il se réjouit d’avoir appris que les gardes de sécurité ougandais embauchés en Irak avaient rapatrié plus de 4 millions de dollars. Il suggère à cet effet que le gouvernement ouvre un ministère de l’Émigration et mette en place un enseignement pratique destiné spécifiquement à ceux qui partent à l’étranger. « C’est ce qui cloche chez nous, affirme-t-il. Tout le monde dit : ÂÂFormation, formation, formation.ÂÂ Chacun veut être diplômé. Mais diplômé de quoi ? De philosophie ? En Ouganda ? » Il s’emporte. « Si nous avions des écoles techniques pour former des chauffeurs de taxi, des nurses et des grooms, ce serait constructif. En Europe, tous les hôtels cherchent des grooms. »
L’essor de l’émigration doit être une conséquence logique de la vague de jeunesse qui déferle sur des pays comme l’Ouganda. Si 87 % des jeunes du monde vivent dans des pays en développement, il y a forcément des régions qui souffrent de vieillissement. Selon l’institut de conjoncture allemand IFO, l’ancienne Europe des Quinze aura besoin de 190 millions d’immigrés en âge de travailler d’ici à 2035.
Toute la question est de savoir si cela suffira à rendre les transitions démographiques à venir aussi bénéfiques que celles du passé.
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