Le minaret et les amoureux

Publié le 12 août 2008 Lecture : 3 minutes.

C’est une histoire ébouriffante qui s’est déroulée du côté de N., petite ville perdue à la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas. Je dis « ville perdue », il ne s’agit pas là d’une expression toute faite mais d’une réalité, hélas. Autrefois, la ville bourdonnait d’activité, il y avait partout des ateliers de confection textile, les cheminées d’usine crachaient leur fumée dans le ciel bas et lourd et les patrons à cigare se frottaient les mains en compulsant leurs livres de comptes. On avait fait venir des milliers de travailleurs bon marché, en particulier du Rif marocain. Ils constituèrent une main d’oeuvre docile et diligente, appréciée par tous.
Au cours des dernières décennies, le textile a pratiquement disparu d’Europe, et dans la ville de N. les usines ont fermé l’une après l’autre. Les travailleurs se sont retrouvés sans emploi mais avec des indemnités convenables. Ils sont donc restés sur place, d’autant plus qu’ils avaient fondé des familles. Et comme il n’y a rien à faire dans cette ville fantôme, ils ont pris l’habitude de passer le plus clair de leur temps à la mosquée. Pourquoi pas ?
Mais – et c’est là que les problèmes commencent – voilà qu’il y a quelques mois, une partie de nos pieux retraités réclament à la mairie le droit d’appeler à la prière du haut d’un minaret. La mairie refuse. Il y a beaucoup d’habitants non musulmans dans la ville et il n’est pas question de les réveiller aux aurores au nom d’un Dieu qu’ils respectent, bien entendu, mais qui ne les empêche pas, habituellement, de dormir tout leur soûl. Le maire, dans sa grande naïveté, propose un service automatique qui permettrait d’appeler chez eux tous ceux qui le souhaitent, ponctuellement, aux heures de prière : une sorte de wake-up call en direct du paradis, en somme. Indignés, les dévots le renvoient à ses élucubrations high-tech. Eux, ils veulent du vrai muezzin, du palpable, du tangible, comme à l’époque de Bilal, le baryton préféré du Prophète.

Finalement, le maire trouve la solution : on concédera un minaret aux adeptes du bel canto religieux, mais on l’installera dans la zone industrielle, abandonnée depuis longtemps et où n’habite personne. Nos dévots grommellent, mais il faut bien accepter le compromis.
Cela dit, il n’est pas tout à fait exact qu’il n’y ait pas un chat dans la zone industrielle : la nuit, les amoureux fervents pullulent dans cet endroit isolé, y a d’la joie, comme disait le poète, y a d’l’amour, tarifé ou non, et c’est au milieu de ce lupanar en plein air que retentit l’appel à l’oraison, qui sonne plutôt comme un appel au repentir. Curieusement, pendant plusieurs semaines, les coquines et les lurons ne trouvent rien à redire à cette voix qui surgit dans les ténèbres. Mieux : ils lui trouvent des accents mélodieux de nature à favoriser l’épectase dans les fourrés.
Et soudain, catastrophe, les Saoudiens !

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Voici qu’un inspecteur de la foi dans l’exil vient tancer nos Rifains : il ne convient pas, leur dit ce wahhabite ambulant, que l’appel à la prière ait des accents trop mélodieux. Cela ressemble à de la musique et la musique, comme chacun sait, c’est l’instrument du diable. Il faut donc que l’appel à la prière se fasse de façon dissonante, d’une voix âpre, fruste et monotone. Aussitôt dit, aussitôt fait. Imaginez la tête des amoureux dans les bosquets, qui avaient pris l’habitude d’être bercés par une voix agréable psalmodiant ce qui ressemblait à de la poésie. Voilà maintenant qu’on gueule méchamment dans leurs oreilles. On leur coupe leurs effets ! C’est inacceptable.
On voit donc des Katia, Olga et autres Natacha – pseudonymes usuels des tâche­ronnes de l’amour – ­aller réclamer au maire le rétablissement du adhan selon le mode musical. Filles de joies contre Saoudiens austères, on ne voit pas ça tous les jours, non ? (Que dites-vous ? Si, si ? Contre, tout contre, et même collés ? Mauvais esprits !)
Résumé : Russes voluptueuses et wahhabites rigides s’affrontent dans une bourgade belgo-batave au son des sourates. Y a pas à dire, on vit une époque affolante.

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