La flambée du brut fait la fortune de Malabo

Grâce au pétrole et à une croissance ininterrompue depuis plus de dix ans, ce petit pays d’Afrique centrale est devenu l’un des plus riches du continent. Reste à transformer l’essai sur le plan humain.

Publié le 12 août 2008 Lecture : 7 minutes.

Un soir comme tous les soirs sur le tarmac de l’aéroport de Malabo. Les gros-porteurs d’Air France, d’Iberia et de Swiss – les trois compagnies internationales qui desservent l’île de Bioko, où se trouve la capitale de la Guinée équatoriale – débarquent des centaines de passagers, hommes pour la plupart. Ventripotents, chapeaux rivés sur la tête et santiags aux pieds, ces caricatures du Texan Way of Life s’engouffrent dans d’imposants 4×4 qui les mèneront jusqu’à Punta Europa, leur site de travail. Situé à quelques encablures, ce gigantesque comp­lexe pétrochimique est l’emblème du « miracle économique » que connaît ce pays d’un peu plus de 1 million d’habitants. « Il y a un véritable bond en avant. La Guinée équatoriale devrait quitter rapidement la liste des pays les moins avancés (PMA) », affirme le représentant à Malabo du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le Nigérien Liman Kiari Tinguiri.
S’il existait un palmarès des records de croissance africaine, l’ancienne colonie espagnole emporterait la première place. Devenue quatrième producteur de brut d’Afrique subsaharienne, avec une production estimée à 350 000 barils par jour (b/j) en 2007, elle a affiché une croissance de 21 % l’année dernière. Ce « nouvel émirat » présente une croissance de 21 % et a affiché le revenu par habitant le plus élevé du continent : 17 000 dollars. « Nous assistons à l’émergence d’un exemple extraordinaire de développement économique », a souligné le secrétaire d’État français à la Coopération, Alain Joyandet, lors d’un bref passage dans la capitale, le 10 juillet. Porté par un baril au plus haut, cet exploit devrait se rééditer en 2008 et alimenter un volume de recettes publiques à nouveau exceptionnel (2 123 milliards de F CFA en 2006 et plus de 2 308 milliards en 2007, soit près de la moitié du PIB). La dette extérieure quasi nulle (3 % du PIB) et le montant des réserves ont donné naissance à la première puissance financière de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) et au seul pays du continent à ne pas recourir aux concours extérieurs du Fonds monétaire international (FMI), qui n’intervient qu’à travers un appui technique. Luxe suprême, Malabo a adressé en mai dernier 1 million de dollars d’aide à la Chine, secouée par un violent séisme.
Les signes extérieurs de richesse sont donc patents. Au risque d’attiser les critiques sur l’utilisation de cette manne. « La gestion de la rente pétrolière est en tout cas bien meilleure qu’ailleurs en Afrique centrale, affirme un diplomate en poste à Malabo. En dix ans, les Équatoguinéens ont accompli ce que d’autres États sont en passe d’accomplir en quarante ! »

Plus de 500 millions de dollars par an dans le BTP

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Le pétrole booste tous les autres secteurs d’activité, à commencer par le bâtiment et les travaux publics (BTP). Portée par une enveloppe évaluée à 500 millions de dollars d’investissements par an, l’ère du « béton-goudron » donne à ce « Koweit équatorial » des allures de chantier permanent. Aéroports, ports, routes, ouvrages d’art, voiries urbaines, bâtiments institutionnels, logements sociaux, hôpitaux en modifient profondément le relief. Partout, à Malabo et Bata, comme à Ebebiyin, Mongomo ou Niefiang, les villes sont touchées par la fièvre de la construction. Priorité a été donnée aux routes avec un doublement du réseau en dix ans, soit plus de 1 000 km. À titre de comparaison, le Gabon, d’une superficie dix fois plus importante, dispose d’un réseau routier long de 7 800 km. Inaugurée en août 2007, l’une des nouvelles routes fait le tour de l’île de Bioko. Une autre doit traverser la partie continentale, de Bata à Mongomo. Des dizaines d’entreprises (Razel, Arab Contractors, Satom, General Work, BesixÂÂ) mettent la dernière touche à l’autoroute de contournement de la capitale. Longue de 12 km sur une largeur de 40 m, elle relie l’aéroport au vieux quartier Ela Nguema.
Emblématique de ce boom, la première phase de l’extension du port de Malabo réalisée par les Marocains de Somagec, s’achèvera en 2009. Objectif ? Faire un hub de transbordement sous-régional. Trente hectares ont été gagnés sur la mer. En plus d’un nouveau terminal à conteneurs, trois quais longs de 1,4 km au total sont prévus. Les inaugurations d’ouvrages sont quasi hebdomadaires (la dernière en date, le 2 août, concernait la nouvelle piste de l’aéroport, rallongée par le français Bouy­gues). Mais les opérateurs sont surtout mobilisés sur « Malabo II », le quartier d’affaires futuriste jouxtant la vieille ville, qui abritera en 2010 des cités administratives et des sièges d’entreprises. Celui de la société Sonagas est d’ores et déjà terminé. Sur le continent, Bata – où de nombreuses habitations, hôtels et bâtiments publics sortent du sol – connaît la même effervescence. La modernisation de l’aéroport par General Work est en voie d’achèvement. L’agrandissement du port par les Chinois doit permettre de mieux desservir l’intérieur du pays tandis qu’une nouvelle phase de 4 km du Paseo, qui serpentera le long du littoral, vient d’être lancée.
Si pour l’instant l’économie n’est pas gagnée par le « mal hollandais », caractérisé par un afflux de capitaux mal absorbés, elle peut malgré tout, à tout moment, montrer des signes de faiblesse face à un tel volume d’investissements. L’environnement des affaires jugé « rigide » par les professionnels n’arrange rien. Les marchés sont majoritairement passés de gré à gré et la libéralisation est encore très timide.
Dans ce contexte, seuls les gros groupes tirent leur épingle du jeu. En juin dernier, la vente d’une seconde licence mobile au saoudien HiTs Telecom a mis un terme au monopole vieux de quarante ans de l’opérateur Getesa, allié au français Orange. Mais cette opération est une exception. En surchauffe permanente, le pays souffre également d’un déficit en personnels qualifiés qui limite les capacités d’absorption de nouveaux projets ou freine l’achèvement de certains autres. « L’État des réseaux en eau potable et en électricité est catastrophique. Les cités de Malabo II sont achevées, mais elles ne sont raccordées à rien », confie un professionnel, en référence à l’ouvrage construit par les Chinois de Dalian.

Ruptures d’approvisionnement

Aucune entreprise n’est à l’abri d’une rupture d’approvisionnement. En dehors des 800 000 tonnes de ciment produites chaque année à Bata, le pays ne fabrique aucun matériau ni équipement utilisés dans le BTP. Les entreprises importent la totalité de leurs besoins et gèrent leurs stocks en flux tendu. « Il suffit d’honorer une grosse commande ou que le port soit engorgé pour que l’activité ralentisse », explique Mathurin Jidjouc Kamdem, directeur des projets de la filiale de Bouygues. Conscient de cette menace, le gouvernement a donné la priorité d’accostage aux navires transportant la précieuse matière première.
Autre effet négatif du poids de l’industrie pétrolière, les exportations de cacao, autrefois première recette à l’exportation, sont passées de 35 000 tonnes au lendemain de l’indépendance, à 1 200 tonnes en 2007. Après le départ de la filiale du groupe espagnol Natra en 2006, il ne reste plus qu’un seul producteur : l’entreprise Casa Mallo. Toutes les cultures locales ont ainsi reculé face aux importations. Cet « eldorado », qui fêtera le quarantième anniversaire de son indépendance le 12 octobre prochain, a encore également des progrès à réaliser en matière de lutte contre la pauvreté.
Pour 77 % des Équatoguinéens, qui vivent avec moins de 1 dollar par jour, le miracle pétrolier est encore un mirage. « Beaucoup d’États font mieux en termes de développement humain avec une croissance moins forte », souligne le représentant du Pnud. Si les défis sociaux sont très nombreux, la Guinée équatoriale a toutefois les cartes en main pour les relever. L’euphorie économique s’accompagne en effet d’une gestion prudente de la ressource pétrolière. « Par définition, nos réserves sont épuisables. Nous ne sommes pas dans la production à tous crins », explique le vice-ministre de l’Énergie, Gabriel Mbegha Obiang Lima. Les autorités équatoguinéennes ont donc opté pour la maîtrise du pompage et le contrôle de l’exploitation des richesses du sous-sol. D’où la naissance des deux grandes sociétés – GePetrol et Sonagas -, qui pourraient, d’ici quelques années, rayonner dans la sous-région. Alors que les compagnies étrangères (Exxon, Sinopec, Atlas, PetronasÂÂ) explorent toujours l’offshore, Zafiro plafonne à 270 000 b/j. Les gisements Ceiba, Alba et Okoumé viennent compléter la production estimée à 350 000 b/j.

L’après-pétrole a commencé

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Mais malgré une récente découverte par l’américain Noble, l’après-pétrole a déjà commencé. C’est donc sur le gaz, dont les réserves colossales sont estimées à 40 milliards de m3, que l’avenir repose. Malabo entend devenir un acteur incontournable. Inauguré en octobre 2007, le premier train de transformation de gaz naturel liquéfié (GNL) exploité par le consortium Ecuatorial Guinea-Licuado Natural Gas (EG-LNG), détenu à 60 % par l’américain Marathon Oil, répond à cette stratégie. D’un coût de 1,5 milliard de dollars, l’installation est complétée par un pipeline et un pont de 350 m suspendu à 70 m au dessus du niveau de la mer jusqu’à un point d’accostage où sont chargés les navires méthaniers. « Un équipement unique au monde », insiste-t-on chez Marathon Oil, ajoutant que l’ouvrage pourra être démonté une fois l’exploitation gazière achevée. L’ensemble est entré en service en mai 2007, en avance de six mois sur le planning, avec une capacité de production de 3,7 millions de tonnes par an.
Mais les autorités veulent aller plus loin grâce à la construction d’un second train. De quoi prolonger le boom ?économique.

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