La Chine dans le texte

Alors que les caméras du monde entier sont braquées sur Pékin, qui accueille, du 8 au 24 août, les jeux Olympiques, retour sur deux romans chinois qui paraissent en français. Au carrefour de la modernité esthétique et de la critique sociale.

Publié le 12 août 2008 Lecture : 5 minutes.

Issue d’une tradition prestigieuse et plurimillénaire, la littérature chinoise contemporaine connaît une évolution remarquable depuis trois décennies. Réduits depuis l’arrivée au pouvoir des communistes à n’être qu’« une petite roue et une petite vis » de la machine révolutionnaire, condamnés à produire une littérature officielle conforme aux diktats du Parti, les écrivains ont dû attendre la disparition de Mao en 1976 pour donner toute la mesure de leur créativité.
Dès les années 1980, à la faveur d’un relâchement relatif de la censure, une littérature puissante et novatrice est née sous la plume de nombreux jeunes auteurs talentueux, prolifiques et inventifs. Ils sont romanciers, poètes, dramaturges. Et s’appellent Mo Yan (Beaux seins, belles fesses, Seuil), Yu Hua (Vivre !, Le Livre de poche), Jia Pingwa (Le Village englouti, Stock), Mian Mian (Les Bonbons chinois, L’Olivier). Le plus radical de tous est sans doute Gao Xingjian, dont la liberté de ton lui a valu d’être banni de Chine et de recevoir le prix Nobel de littérature en 2000. Premier écrivain de langue chinoise à recevoir une telle distinction, l’auteur du sublime La Montagne de l’âme (Éditions de l’Aube, 2005), établi en France, trace les voies d’une littérature libérée de la dictature du politique.

« Littérature des cicatrices »

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Nankin 1937, une histoire d’amour, de Ye Zhaoyan, et Le Dernier Amour de Sun Yat-sen, de la Taïwanaise Ping Lu, qui viennent de paraître en français, sont révélateurs de la vitalité et de la liberté créatrice de la littérature chinoise contemporaine. Ye Zhaoyan est un écrivain typique de la génération postmaoïste. Il a 9 ans lorsque éclate la Révolution culturelle. Ses parents, des lettrés, sont arrêtés. En tant que « jeune instruit », Ye Zhaoyan est envoyé à la campagne et doit travailler quatre ans en usine, comme métallo. Il a raconté dans un précédent roman, publié en français sous le titre La Serre sans verre (Bleu de Chine), son expérience tragique des persécutions. Et cela, dans la plus belle tradition des auteurs de la « littérature des cicatrices ». Très en vogue au sortir des années Mao, ce mouvement, dont le nom s’inspire de La Plaie, une nouvelle
publiée en août 1978 par un jeune étudiant, avait pour objectif d’explorer à travers la fiction la « gigantesque cicatrice » laissée par les crimes de la Révolution culturelle.
Nankin 1937 s’inscrit dans le courant néoréaliste qui a connu un certain essor au cours des dernières années et qui tente de renouer avec une expression romanesque simple, sans que les oeuvres prennent une tournure idéologique et moraliste. Le récit met en scène une histoire sentimentale sur fond d’événements historiques. Mêlant l’Histoire et la fiction, le destin collectif et les retournements des fortunes individuelles, l’auteur entraîne ses lecteurs dans le tourbillon d’une époque agitée.

Best-seller

Nankin, où se situe l’intrigue, est la capitale du régime nationaliste de Tchang Kaï-chek. La vie y était douce au bord du fleuve Yangtsé, mais le 13 décembre 1937 l’armée japonaise est entrée dans la ville, l’a mise à sac, massacrant près de 300 000 Chinois. C’est sur ce fond dramatique que se déroule le récit des frasques amoureuses de Ding Weynu, professeur de langues et de civilisations étrangères et antihéros moderne. À la fois comique et grave, le roman s’ouvre sur les festivités du 1er janvier 1937. Le protagoniste se rend à un mariage où il s’éprend de la mariée tant celle-ci est belle. La situation paraît compromise a priori, mais elle n’est pas désespérée. Au fur et à mesure qu’évolue l’histoire d’amour entre le professeur vieillissant et la jeune Ren Yuyuan, les événements historiques s’accélèrent, prenant au piège les amants.
Le secret du succès de ce beau roman, qui a été un best-seller en Chine, réside sans doute dans la superposition habile de la double tension sentimentale et historique. Le mouvement de l’intrigue amoureuse, qui va du désespoir à la conquête, est contrebalancé par l’insouciance de la population nankinoise, débouchant sur sa reddition dans le feu et le sang. La fresque de la vie qui émerge de cette dialectique subtile révèle une économie étonnante de l’art narratif qui, si elle est essentiellement le produit des évolutions fulgurantes que les lettres chinoises ont connues au cours des dernières décennies, n’est toutefois pas sans rappeler le sublime et le délicat, qui ont été, à travers les âges, les marques de fabrique de l’imagination chinoise.
Disons plutôt une imagination sinophone, car celle-ci n’est pas circonscrite à la Chine continentale. Taiwan, Hong Kong, mais aussi la vaste diaspora chinoise dispersée dans le monde entier, contribuent pour beaucoup à la littérature en langue chinoise. Ping Lu, romancière taïwanaise très connue dans son pays et dont Mercure de France vient de publier la biographie, mi-historique, mi-fictionnelle, du fondateur de la Chine moderne, Sun Yat-sen, est emblématique de ce mouvement.

Faux-semblants

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Ce dynamisme s’explique par la longue tradition de l’ouverture de l’île aux influences extérieures. Alors que sur le continent la censure encadre les lectures des citoyens et leur refuse le libre accès à l’information, les écrivains taïwanais ont pu accéder aux littératures du monde entier dès les années 1960. En conflit avec leur société patriarcale pétrie de confucianisme, ces derniers, et en particulier Bai Xianyong, Wang Wenxing, Huang Fan, Li Ang, se sont attachés à tracer les heurs et malheurs de personnages profondément individualistes et rebelles, dans des récits maîtrisés, irrigués par des recherches ­formelles inspirées de l’Occident (monologues intérieurs, intertextualité, intrigues éclatées). Ces écrivains puisent aussi dans leur histoire politique spécifique (colonisation japonaise, immigration en masse des républicains suite à la victoire des communistes à Pékin, liens tendus avec le continent) le matériau de leurs quêtes identitaires romanesques et inassouvies.
Le Dernier Amour de Sun Yat-sen, de Ping Lu, est, à ce titre, représentatif de l’obsession historique des écrivains taïwanais. À travers cette biographie romancée et double où alternent le récit des derniers jours de Sun Yat-sen, décédé en 1924, et celui des dernières années de la vie de sa veuve, morte dans un palais de Pékin un demi-siècle plus tard, la romancière interroge les impasses et les faux-semblants d’une Histoire dédaigneuse de vies et d’aspirations individuelles.

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