Écrans arc-en-ciel

Publié le 12 août 2008 Lecture : 3 minutes.

En Afrique du Sud, les séries mélangent langues, couleurs et ethnies pour encourager la mixité. Plus qu’une préoccupation des producteurs, c’est une condition de diffusion.
«Coupez ! » Les acteurs se relâchent. Le scénariste interrompt la répétition. « Tu devais la dire en zoulou cette réplique, pas en anglais ! » Dans les immenses studios de la série sud-africaine Generations, la star Sophie Ndaba doit reprendre la scène. L’ancien mannequin joue le rôle de Queen Moroka, magnifique quadragénaire zouloue à la tête d’une compagnie publicitaire basée à Johannesburg. Et si les textes sont aussi simples à retenir que les scénarios à écrire, le plus dur est de se souvenir dans quelle langue ils doivent être dits. Le soap le plus populaire de la communauté noire jongle entre quatre langues à chaque épisode : on pose une question en zoulou, on répond en anglais ou en xhosa pour finir sa réplique en sotho. Le tout sous-titré en anglais. Dans une cacophonie assez déconcertante.
Pour le producteur, Mfundi Vundla, qui dirige la plus grosse société de production sud-africaine, rien de plus normal dans ce pays « où tout le monde s’exprime de cette manière ». Dès 1994, lorsque le membre du Congrès national africain (ANC) Mfundi Vundla rentre des États-Unis, où il était en exil, il crée Generations pour porter sa communauté à l’écran. Et remporte un véritable succès.
Pendant l’apartheid, les seuls Noirs qui apparaissaient dans les séries télévisées étaient réduits à des personnages caricaturaux, sans éducation, délinquants, ou encore marabouts. Dans Generations, les acteurs sont désormais beaux, riches et représentent cette nouvelle Afrique du Sud, où la population noire a réussi. Et la série cartonne toujours sur SABC 1, l’une des trois chaînes du service public, avec une diffusion quotidienne et un budget de 40 millions de rands annuels (environ 4 millions d’euros).
À travers les programmes de la South African Broadcasting Corporation (SABC), le gouvernement veut montrer une nation arc-en-ciel à l’écran, en attendant que celle-ci soit réalité. Une loi a d’ailleurs été votée dès 1994 pour encourager les chaînes à diffuser des productions nationales : l’État contribue à hauteur de 10 % à la création de films ou de séries télévisées qui encouragent la mixité sociale. De même, les chaînes du service public doivent utiliser les onze langues officielles du pays dans leur programmation.
Selon Danie Odendaal, scénariste et producteur afrikaner de la série à succès Sewende Laan, les efforts financiers du gouvernement n’ont pas influencé son travail. Dans ce soap, tous les acteurs, noirs, blancs, ou métis, parlent afrikaans. Un choix stratégique pour toucher un plus large public. Pas pour conquérir une communauté, assure-t-il : « L’afrikaans est la deuxième langue que l’on apprend à l’école après l’anglais. Au début, il y a huit ans, on touchait surtout un public afrikaner. Mais lorsqu’on a mis les sous-titres en anglais, on s’est aperçu qu’on avait de plus en plus de téléspectateurs noirs. » Aujourd’hui, ils représentent 30 % de la part d’audience.
Et avec deux millions de téléspectateurs quotidiens, Sewende Laan a pris la tête de la guerre des soaps. Une vieille concierge anglaise, une étudiante originaire de Namibie, une mère célibataire afrikaans, à chacun son personnage. Mais les intrigues sont universelles : amours, tromperies, criminalité Danie Odendaal affirme avoir eu l’envie de réunir toute la société sud-africaine à l’écran. Parce qu’il aime son pays, dit-il, et parce que la télévision est une arme sociale pour montrer ce qui est possible. « Notre société, regrette-t-il, n’est pas aussi mélangée que dans la série. La télé reste un monde idéal ! »

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