Contes et mécomptes d’Afrique

Plus de la moitié des équipes nationales africaines sont dirigées par des étrangers, le plus souvent français. Humainement et professionnellement, comment vivent-ils leur exil, souvent moins doré qu’on ne l’imagine ? Trois d’entre eux racontent.

Publié le 12 août 2008 Lecture : 5 minutes.

Pour une sombre histoire de factures impayées, l’équipe nationale de football de RD Congo a bien failli être mise à la porte de l’hôtel où elle avait pris ses quartiers, à Pontault-Combault, près de Paris. À quelques jours d’un périlleux déplacement en Égypte, face au tout nouveau champion d’Afrique, ça aurait fait désordre ! Heureusement, Patrice Neveu, le nouvel entraîneur français, qui vient de signer un contrat de deux ans, a réglé le problème en faisant chauffer sa carte bancaire. La fédération congolaise (Fecofa) l’a remboursé quelques jours plus tard. Fin de l’incident. En attendant le prochain.
Neveu en a presque rigolé. L’Afrique, il connaît. « J’éprouve une vraie passion pour ce continent et ses habitants. Ce genre de galère, ça fait partie du folklore. Quand tu es sélectionneur, tu sais qu’il n’y a pas que le terrain. Il faut aussi s’occuper de l’intendance, des équipements, des primesÂÂ Au début, quand tu arrives d’Europe, ça surprend, mais on s’habitue vite. »

Savoir s’adapter

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Il a travaillé au Niger, en Tunisie, en Guinée, en Égypte et au Maroc. Alors, Neveu sait que les standards européens ne sont pas toujours exportables. Est-ce d’ailleurs souhaitable ? « Non, tranche son collègue Pierre Lechantre, ancien sélectionneur du Cameroun et du Mali et fugace entraîneur de l’équipe de Fès, au Maroc. Bien sûr, il faudrait un peu plus d’organisation dans certains secteurs. On perd trop de temps et d’énergie à régler certains problèmes. Cela peut être positif qu’un Européen apporte sa touche personnelle, mais, quand on travaille en Afrique, il faut savoir s’adapter. » Ceux qui le comprennent et l’acceptent peuvent durer. Les autresÂÂ
« Moi, je suis scotché quand je vois des étrangers qui débarquent en voulant tout changer. Ce n’est pas comme cela que ça marche, il faut trouver le juste milieu », insiste Neveu. Faire comme Bruno Metsu, par exemple, l’heureux sélectionneur de l’équipe du Sénégal, quart de finaliste de la Coupe du monde 2002. Savoir rire, pleurer et faire la bringue avec ses joueurs. Mais savoir, aussi, les recadrer quand il arrive que l’équilibre du groupe soit menacé par des dérapages individuels.
L’Afrique ne se raconte pas, elle se vit. Elle se rêve, aussi. Ancien honnête professionnel devenu entraîneur d’équipes de seconde zone (Angoulême, Fontenay-le-Comte), Patrice Neveu s’y voyait avant même d’y être, convaincu de s’y épanouir professionnellement. Et humainement, peut-être. « On m’a proposé le Niger, et j’ai dit oui, sans hésiter. La vie en Europe me semblait trop rigide. » Et la profession, trop encombrée : « Je ne voyais que l’exil pour mieux vivre de ma passion. »
Pour cela, il faut être prêt à vivre dans des endroits, disons, difficiles. « Médenine, en Tunisie, c’est 50 degrés l’été, et pas grand-chose à faire à part bosser », raconte Neveu, qui se souvient de soirées de fête passées seul, en tête-à-tête avec lui-même. Lechantre, en revanche, est toujours parti avec femme et, parfois, enfants. « À notre arrivée au Cameroun, explique-t-il, nous avons dû vivre à l’hôtel plusieurs semaines durant. L’Afrique, c’est aussi l’école de la patience. Avec les Lions indomptables, lors d’un déplacement en Érythrée, nous avons été bloqués au Caire pour des problèmes de visas. J’ai vu les joueurs s’organiser calmement et dormir par terre. »
Neveu, Lechantre, mais aussi Henri Stambouli. Après des semaines de palabres et de portes qui claquent, ce dernier, natif d’Oran, a finalement été nommé sélectionneur du Togo. Auparavant, il avait déjà posé ses valises au Maroc, en Tunisie, au Mali, en GuinéeÂÂ « Il faut admettre certaines choses quand on part en Afrique. Il ne faut pas espérer y faire fortune, savoir qu’il peut y avoir des retards dans le versement des salaires, comprendre que le poste est encore plus exposé qu’en Europe tant la passion du foot est ici intense, parfois démesurée. Sans parler des tracas liés au manque de moyens. » Ni de l’omniprésence du pouvoir politique. Mais Stambouli ne se plaint pas, au contraire. « Humainement, on vit des moments fabuleux. Avec les joueurs et les supporteurs, les rapports sont plus simples qu’en Europe. Quand on débarque ici, on comprend vite que l’attente par rapport à nous est très grande. On arrive d’un continent riche, avec un statutÂÂ »

Dirigeants versatiles

Mais gare quand tout ne marche pas comme prévu. « Après une défaite, mieux vaut parfois quitter le stade discrètement ou rester cloîtré chez soi pendant quelques jours », explique Neveu. Il faut aussi savoir composer avec la versatilité de certains dirigeants. Il vient d’en faire la double expérience.
« À Ismaïlia, en Égypte, raconte-?­t-il, ils ont profité de mon absence – un séjour en Europe pour une intervention chirurgicale – pour prétendre que j’avais abandonné l’équipe, alors que j’étais sous contrat. » L’affaire est actuellement soumise à l’arbitrage de la Fifa, la fédération internationale.
« À Tétouan, la fédération marocaine a refusé d’homologuer mon contrat, sous le prétexte que j’aurais insulté le Maroc. » Tout est apparemment parti d’une altercation avec Badou Zaki, l’ancien sélectionneur des Lions de l’Atlas (2002-2005), au bar d’un hôtel de Conakry après un match Guinée-Maroc (1-1), en octobre 2004. « Il a voulu régler des comptes. Et comme il est influent dans son pays, il y est arrivé. »
À Bamako, Lechantre a assisté à des scènes de guérilla urbaine après une défaite face au Togo, en 2005. « J’avais déjà eu peur à Lagos, après la victoire du Cameroun en finale de la CAN 2000, face au Nigeria. » L’Afrique est ainsi : envoûtante et excessive, généreuse et compliquée. « Mais elle ne laisse jamais indifférent, insiste Patrice Neveu. Je vais m’installer à Kinshasa, parcourir les provinces pour voir des matchs, observer des joueurs. Il n’y a que comme ça que je peux concevoir mon job de sélectionneur et d’expatrié. Et je ne m’imagine pas vraiment revenir travailler en France. » Pierre Lechantre, actuellement sans emploi, n’est pas aussi définitif, par la force des choses. Quant à Henri Stambouli, il a trouvé un compromis : en plus d’être le sélectionneur des Éperviers du Togo, il a accepté le poste de directeur sportif d’Istres, une équipe de National (la 3e division française). On ne sait jamais !

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