Ce que devient Lansana Kouyaté

Depuis son limogeage, à la fin de mai dernier, l’ancien chef du gouvernement voyage, s’informe, rencontre du monde – du beau monde. Préparerait-il son come-back politique ?

Publié le 12 août 2008 Lecture : 5 minutes.

Pour la première fois depuis le début de sa carrière, il y a trente et un ans, Lansana Kouyaté, qui en a aujourd’hui 58, goûte aux délices du farniente. Arrivé par un vol spécial en France, le 23 juillet, en compagnie de son épouse Fanta, née Condé, et de leur fille, ce diplomate de carrière qui fut Premier ministre de Guinée du 26 février 2007 au 20 mai 2008 coule des journées paisibles dans son appartement du 8e arrondissement de Paris.
Loin de l’effervescence d’avril 2007, quand il effectuait dans l’Hexagone sa première visite en qualité de chef du gouvernement guinéen, il consacre le plus clair de son temps à la lecture de quelques livres que ses charges passées ne lui ont pas laissé le temps de dévorer. Sur sa table, un lot d’ouvrages qui vont de Peuls, le récit historique de son compatriote Tierno Monénembo, à Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites, le nouveau roman du Français Marc Levy, en passant par Une brève histoire de l’avenir, l’essai prospectif de Jacques Attali, ou le dernier numéro de La Revue pour l’intelligence du monde, la publication du groupe Jeune Afrique. Sans oublier le dernier numéro de notre hebdomadaireÂÂ

Reçu à l’Élysée

la suite après cette publicité

Lansana Kouyaté s’informe, réfléchitÂÂ Il rencontre également du monde, du beau monde, de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, dont il a dirigé le bureau en Côte d’Ivoire de février 2003 à sa nomination à la primature) à l’Élysée où, selon nos informations, il a été reçu le 28 juillet pendant près d’une heure par le secrétaire général, Claude Guéant, en présence du directeur Afrique, Bruno Joubert.
Depuis qu’il a quitté la Guinée à destination de la Côte d’Ivoire, le 8 juillet, l’ancien Premier ministre multiplie les contacts avec des personnalités qui étoffent son carnet d’adresses. À Abidjan, il a dû rencontrer le chef de l’État ivoirien, Laurent Gbagbo, ainsi que son Premier ministre, Guillaume Soro. Lorsqu’il était médiateur de l’OIF dans la crise ivoirienne, Kouyaté réunissait le soir ces deux hommes à son domicile. Ces rencontres ont été les prémices du « dialogue direct » entre Gbagbo et Soro qui a abouti à l’accord de Ouagadougou du 4 mars 2007.
Après Abidjan, cap sur le Togo, pays de son « grand frère », feu Gnassingbé Eyadéma, où il a gardé de bons rapports avec le fils et successeur de ce dernier, Faure Gnassingbé. Pour ne pas rompre avec ses vieilles habitudes, il a quitté le tumulte de la capitale pour s’offrir quelques jours de repos à Kara, à 428 km au nord de Lomé. Avant de se retrouver en Libye, où Mouammar Kadhafi lui a réservé un traitement présidentiel.
Kouyaté voyage, voit ses amis, prend du bon tempsÂÂ comme s’il voulait profiter pleinement de son escapade après avoir été confronté, par la faute de fonctionnaires zélés, à quelques tracasseries au moment de quitter la Guinée.
Le 5 juillet, alors que l’avion privé qu’un « ami » avait dépêché de Bucarest pour venir le chercher était sur le point de fouler le tarmac de Conakry-Gbessia, il a reçu un coup de fil du commissaire de l’aéroport l’informant qu’il ne serait pas autorisé à quitter Conakry. Au bout de quelques minutes de conciliabules, Kouyaté a accepté que la tour de contrôle ordonne à l’aéronef de rebrousser chemin.
S’estimant libre de ses mouvements pour n’avoir rien fait d’illégal, il a par la suite joint le chef de l’État, Lansana Conté. Ordre a alors été donné au secrétariat de la présidence de « prendre toutes les dispositions utiles » pour permettre à l’ex-Premier ministre d’aller et venir librement.

Tapis dans l’ombre

Acclamé à l’aéroport par ses partisans, Kouyaté a embarqué le 8 juillet à bord de l’avion revenu le même jour de Bucarest. Non sans connaître un nouveau désagrément : alors qu’il était déjà à bord, son protocole lui a signalé que son passeport, remis à la police des frontières pour les formalités d’usage, avait mystérieusement disparu. « Simple disparition », ont juré les policiers, qui n’a pas empêché l’appareil de décoller. Le passeport a été « retrouvé » le lendemain et expédié à son propriétaire à Abidjan.
Aujourd’hui éloigné de son pays, Kouyaté prête une attention soutenue à ce qui s’y passe, mais également aux faits et gestes de ses adversaires tapis dans l’ombre du chef de l’État. Lequel a signifié, début juillet, son désaccord à ceux de ses proches qui voulaient faire inculper l’ex-Premier ministre pour malversations présumées dans la gestion du crédit revolving de 20 millions d’euros ouvert au profit de l’État guinéen dans les livres de la BNP Paribas.
Garanti par les recettes fiscales versées par la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) sur un compte domicilié à Zurich, le crédit a servi à régler les délestages d’électricité par la réparation du parc de groupes électrogènes, le remplacement de câbles et transformateurs obsolètes, l’achat de carburant, l’installation à Conakry d’un système d’éclairage public à l’énergie solaireÂÂ
Ce crédit a également été utilisé pour acquérir auprès de deux gros importateurs le riz destiné à satisfaire la demande de la population au cours du dernier mois de ramadan et « contenir » à un niveau supportable les prix de cette denrée.
« L’argent versé à ces deux hommes d’affaires n’a toujours pas été remboursé à l’État », affirment les adversaires de Kouyaté. Et les proches de ce dernier de répliquer : « Ces deux hommes d’affaires se sont engagés vis-à-vis de la Banque centrale sur la base de versements échelonnés qu’ils ont honorés jusqu’à ce que Lansana Kouyaté quitte la tête du gouvernement. Et, quand bien même ils ne se seraient pas exécutés, devrait-on poursuivre un Premier ministre parce qu’un contrat conclu avec des privés par les ministres du Commerce et des Finances n’a pas été respecté ? »
Pour ne pas gêner son successeur, l’intéressé s’astreint au silence. S’il convient, devant ses proches, avoir commis quelques « erreurs d’appréciation », il n’est pas peu fier de ses réalisations : retour du FMI, restauration de l’éclairage public, réduction du taux d’inflation de 39 % à 18 %, acquisition de 100 bus pour améliorer les transports à Conakry, relance de la filière coton avec une subvention de 9 milliards de francs guinéens, mise en place de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), retour de la Guinée sur la scène diplomatique internationaleÂÂ
À une proposition qui lui a été faite d’occuper un poste de fonctionnaire international, Kouyaté a répondu par un refus poli. Prépare-t-il son come-back politique ? Se donne-t-il le temps de réfléchir à une stratégie ? Une seule certitude : ce Malinké de Kouroussa, que la diplomatie a habitué aux palais, ne manque pas d’ambition.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires