Bibi Tanga

Bassiste natif de Bangui, il a fait ses débuts dans le métro. Le leader des Gréements de fortune est aujourd’hui l’ambassadeur du funk made in France.

Publié le 12 août 2008 Lecture : 5 minutes.

École de la rue, bohème du macadam ou conservatoire populaire dont les usagers composent un jury spontané : le métro parisien est un vivier de talents insoupçonnés. Si des dizaines de musiciens s’y essaient pour gagner leur vie, d’autres s’en servent pour tester leur répertoire avant de se produire sur scène.
C’est le cas du bassiste et chanteur centrafricain Bibi Tanga, qui, pendant plus d’un an, a transformé ce dédale de couloirs en un auditorium improvisé, à l’instar du guitariste nigérian Keziah Jones, quelques années auparavant.

Alors que Music 1, le premier album des Gréements de fortune, son groupe – le plus en vue de la scène soul-funk française ! – a été unanimement salué par la critique lors de sa sortie au mois de mai, Bibi ne renie rien de cette période. « Elle m’a forgé. À cette époque, je jouais du saxophone et reprenais les chorus de Maiiiiciio », se souvient-il. Maiiiiciio ? Le saxophoniste américain Maceo Parker, bien sûr.
En observant Bibi, on a peine à croire que ce type mince et élégant comme un Abyssinien, qui, le jour, s’habille de façon très classique, puisse, la nuit venue, se transformer en « fonky héros » dans la grande tradition de la Sainte-Trinité : James Brown, Sly Stone et George Clinton, dont il assurera la première partie le 27 août au Bataclan, à Paris.
Pour en arriver là, il a fallu à ce presque quadragénaire beaucoup d’encouragements. Non pour trouver l’inspiration – qui ne lui a jamais fait défaut -, mais pour se mettre au travail, avaler les gammes et déchiffrer les solos des grands jazzmen américains. La musique ne souffre pas les demi-mesures. S’y consacrer est un job à plein-temps. Surtout quand, comme Bibi, on ne s’y est lancé que tardivement.
Né à Bangui en 1969, le petit Bienvenue Tanga – de son vrai nom -, s’est en effet longtemps cherché avant de devenir une star du « funky style ». Mais ses parents l’ont toujours soutenu. « Ils me stimulaient intellectuellement en m’ouvrant à la littérature, à la peinture, à la musique. C’est inestimable ! »
Jeune, Bibi voyage beaucoup. Avec ses six frères et soeurs, il parcourt le monde au gré des affectations de son père, ancien ministre du président David Dacko devenu diplomate. Il découvre tour à tour la Russie, la Belgique, l’Allemagne, les États-Unis puis la France. Au début des années 1980, toute la famille s’installe à Sevran, dans la banlieue parisienne.
La discothèque familiale accueille aussi bien Bob Marley, Miles Davis et Georges Brassens que les stars de Motown, la célébrissime maison de disques américaine, ou l’orchestre guinéen Bembeya Jazz National. En écoutant ces sons, Bibi voit défiler les moments forts de son enfance, comme cette année 1978 où, à Brooklyn, il découvre le smurf et les sound-systems. « J’ai assisté sans le savoir à la naissance du hip-hop », s’enthousiasme-t-il.
Jusqu’à ses 20 ans, pourtant, il préfère humer l’air du temps. Bibi se cherche un avenir. Sa vie d’alors est rythmée par des allers-retours incessants entre la France et la Centrafrique, où vivent ses grands-parents. Sa fibre africaine l’incite à s’installer au pays. « Je voulais ouvrir un club vidéo ; en fait, je tâtonnais », confie-t-il.
Mais les dérives du régime d’André Kolingba (1981-1993) finissent par le convaincre de choisir définitivement la France. C’est à ce moment qu’il plonge dans la musique, que plusieurs de ses amis pratiquent assidûment. L’un d’eux, notamment, possède un saxophone.
« Si tu veux, je te le prête », lance-t-il un jour à Bibi. Progressivement, l’idée de se consacrer pleinement à la musique fait son chemin. « C’est alors que je me suis dit qu’il y avait peut-être un filon à exploiter. Je me suis donné deux ans pour savoir si la musique était mon truc. » À l’évidence, elle l’est !
Chaque jour, Bibi enchaîne les gammes. Le métro, qu’il fréquente assidûment, lui sert de caisse de résonance et de salle de répétition. Les voyageurs s’arrêtent, l’écoutent et le félicitent. Il parcourt aussi la France, à l’affût des festivals. En 1994, par exemple, il se rend à Avignon puis à Aurillac. Il ne roule pas sur l’or, mais parvient toujours à joindre les deux bouts. « J’ai payé tout mon séjour grâce à la musique. Je n’ai rien déboursé », explique-t-il.
Le sax présente cependant un léger inconvénient : il ne permet pas de chanter. Or « mon écriture était trop personnelle pour que quelqu’un d’autre se l’approprie », raconte-t-il. Alors, il se met à griffonner sur des bouts de papier des idées de textes. Tout ce qui lui passe par l’esprit. Et il passe à la basse.

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En 1995, Bibi Tanga restitue une première fois ses compositions sur une maquette, qu’il adresse à la major Polydor, dans l’espoir de produire son premier disque. En vain. Mais il ne se résigne pas. À Paris, grâce aux « Sunday Schools » (sessions pendant lesquelles de jeunes musiciens peuvent jouer devant des professionnels) du Hot Brass, aujourd’hui rebaptisé le Trabendo, où il se produit régulièrement, Bibi croise la route d’Emilie Pianta, un agent artistique qui, immédiatement conquise par sa musique, lui propose de le programmer en première partie de divers concerts.
Surtout, il se lie d’amitié avec la fine fleur du funk français : les musiciens de la Malka Family, un groupe phare des années 1990 avec FFF (Fédération Française de Funk). En 2000, il sort son premier opus, un album afro-funk intitulé Le Vent qui souffle2, produit par le petit label de deux anciens de la Malka. Malgré le plébiscite de la presse, c’est un échec commercial. Qu’importe, c’est aussi l’acte de naissance d’un artiste atypique, qui touche à toutes les musiques afro-américaines, réunies par lui sous le terme « bluesypop ».
Dans l’appartement qu’il squatte dans le XXe arrondissement de Paris en compagnie d’autres artistes, Bibi façonne sa personnalité iconoclaste. Son jeu de basse s’aiguise, façon Bernard Edwards, le légendaire bassiste du groupe Chic. Si bien que lorsqu’en 2003 il rencontre Jean Dindinaud, surnommé Le Professeur inlassable, avec qui il noue une solide amitié, tout s’accélère. Grâce à ce musicien, DJ et producteur qui possède son label et ses propres studios, Bibi sort son deuxième album, Yellow Gauze3, à cheval entre le jazz et le funk et pour lequel la chanteuse Ayo prête sa voix. Dans la foulée, il crée son groupe, les Gréements de fortune, avec des anciens de la Malka. Avec ses cinq complices au beat et à l’énergie redoutables, il hisse immédiatement la grand-voile. L’ascension est fulgurante.
Plébiscités, les Gréements multiplient les dates de concerts et sont parallèlement repérés par l’animateur de télévision Thierry Ardisson, qui les embauche pour assurer la partie musicale de son émission, Salut les Terriens, tous les samedis sur Canal+. Grâce à son navire amiral, Bibi s’est aujourd’hui installé dans un vrai appartement. Il a aussi trouvé son rythme de croisière sur les immensités bleues, entre un boeuf avec les musiciens de Prince et une tournée qui s’annonce d’ores et déjà très longue.

1. Record Label WBS
2. Hipi Music
3. L’inlassable Disque / Abeille Musique

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