Angoua Edoukou – Le nouveau « Monsieur Cacao » ivoirien

Planteur dans l’est de la Côte d’Ivoire, le nouveau président de la Bourse du café-cacao a fort à faire à Abidjan : remettre de l’ordre dans la filière, créer une vraie salle de marché et calmer les ardeurs de la justice.

Publié le 12 août 2008 Lecture : 5 minutes.

En accédant à la tête de la Bourse du café-cacao (BCC), en décembre dernier, l’homme devenait le patron d’une filière qui rapporte chaque année plus de 200 milliards de F CFA (300 millions d’euros) à l’État ivoirien et qui fait vivre quelque trois millions de producteurs. Il pénétrait surtout au cÂÂÂur du cyclone. Car, depuis sa prise de fonctions, Angoua Edoukou a vu l’ensemble des autres « barons du cacao » déférés à la prison d’Abidjan en juin dernier. En tout, ce sont vingt-trois personnes qui ont été inculpées. On les accuse d’avoir détourné une grande partie des fonds destinés à aider les producteurs de café et cacao. Depuis 2001 et la mise en place des différentes structures censées organiser la profession et commercialiser la fève, le préjudice pourrait s’élever à 115 milliards de F CFA. Et c’est sans compter sur les suites de la sinueuse affaire de l’usine de transformation du cacao de Fulton, aux États-Unis, mystérieusement achetée avec la complicité de banques ivoiriennes mais qui n’a toujours pas démarré ses activités, quatre ans après son rachat. Autant d’opérations financières qui pour beaucoup sont considérées comme l’une des causes de la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, qui enquêtait sur ces malversations.
Quadragénaire, marié et père de deux enfants, Angoua Edoukou a certainement le goût du risque. Mais, incarnant le renouveau et n’ayant pas été convoqué par le procureur de la République, Raymond Tchimou, il est parvenu à passer au travers des gouttes. Il faut dire que ce planteur prospère – il exploite 250 hectares dans sa région natale d’Abengourou, près de la frontière ghanéenne – s’est toujours présenté comme le défenseur des planteurs et n’a jamais hésité à fustiger les errements du passé. Le tout avec beaucoup d’habileté. Si, aujourd’hui, il dit « faire confiance » à la justice de son pays, il a parallèlement constitué une cellule de crise et envisage d’organiser un grand rassemblement pour demander pardon et réclamer la clémence du président, Laurent Gbagbo. Au nom des siens, tout en affichant une certaine distance par rapport à ceux qui ont fait les frais de ce grand ménage. « S’il est vrai que le chef de l’État nous a confié la filière, c’est à nous, planteurs, de bien la gérer. Pour cela, nous allons tirer les leçons du passé et mettre en place un cadre de gestion plus rigoureux », promet-il.

Des traders pour peser sur les cours

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Durant les crises répétées opposant notamment le clan de Tapé Do – l’ex-président de la BCC – à celui d’Henri Kassi Amouzou, qui régnait sans partage sur la principale instance – le Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs de café et de cacao (FDPCC) -, Angoua Edoukou a su rester discret, tout en marquant sa préférence pour le second. Alors que les différentes structures de la filière donnent rapidement lieu à des luttes d’influence, il dénonce dès 2004 la gestion de la Bourse, « qui n’arrive plus à mettre en place un vrai mécanisme de commercialisation capable de faire fructifier le revenu des planteurs ». Par ce discours, il a su se faire apprécier et s’est forgé une réelle popularité dans les campagnes. Profitant du renouvellement du collège des producteurs-administrateurs de la BCC en 2007, il parvient à ses fins et déboulonne Tapé Do. Mais aujourd’hui, le ton se veut plus consensuel. « J’ai été un collaborateur d’Amouzou comme tout le monde », explique-t-il pour relativiser ce parrainage à présent bien encombrant et démentir toute ingérence exercée depuis une cellule de prison. « L’Association nationale des producteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire [Anaproci], qui chapeaute les organes de la filière, a prévu un dispositif pour assurer la relève. De ce fait, nous ne subissons aucune influence », affirme ce nouveau patron qui veut voler de ses propres ailes et qui s’est doté d’une feuille de route qui ne manque pas de pertinence.
« La BCC est le coeur de la filière ; nous ferons d’elle une vraie Bourse, assure-t-il. Pour cela, il faut maîtriser la commercialisation à l’export. Notre projet est donc de débaucher des traders. Mieux, nous allons initier des partenariats pour la création d’un cabinet de formation sur le ­négoce. Ainsi ce ne sera plus à Londres ou à New York ou même à Chicago que tout va se décider. Mais, pour l’heure, nous subissons les Yo-Yo du marché et le diktat international », conclut-il, annonçant au passage la création à Abidjan d’une salle des marchés. Premier producteur mondial de cacao depuis une vingtaine d’années avec 1,2 million de tonnes sur la campagne 2006-2007, soit 40 % de l’offre mondiale, la Côte d’Ivoire veut ainsi peser sur les cours. Elle en a les moyens. Excepté en 2002-2003, ses exportations ont toujours dépassé le million de tonnes ces dix dernières années. Et ce malgré la crise, la coupure en deux du pays et les difficultés d’acheminement des récoltes vers le port d’Abidjan. Après un passage à Boston (États-Unis) en 2004 pour justement s’initier aux rouages du négoce international, Edoukou est sans doute l’homme de la situation pour que la Côte d’Ivoire devienne enfin un acteur et non plus seulement un producteur passif, victime des aléas et de la volatilité du marché. « Nous changerons le mécanisme actuel de la vente spot pour revenir à la vente par anticipation. Techniquement, nous serons prêts pour la campagne 2009-2010 », précise-t-il. De quoi constituer ainsi une trésorerie, glisser les revenus de la filière et ainsi mieux rémunérer les planteurs de cacao, dont le prix d’achat est passé de 688 F CFA le kilo en 2002-2003 à 450 F CFA en 2007-2008, après être tombé à 207 F CFA en 2003-2004. Entre-temps, les taxes prélevées par les structures (BCC, FDPCCÂÂÂ) n’ont cessé d’augmenter et les marges engrangées par les exportateurs ont prodigieusement gonflé. Première étape de cette remise en ordre : pour la campagne 2008-2009, qui s’ouvrira le 1er octobre, les producteurs doivent bénéficier d’un mécanisme de prix minimum garanti, et non indicatif comme c’était le cas par le passé.

Pas d’appartenance politique

« Même si sa réussite dépend beaucoup de l’agenda politique, avec la tenue de l’élection présidentielle et la stabilisation du pays, il peut y arriver. Par son parcours, il a acquis une vraie légitimité », estime un observateur. De fait, celui qui a pris la relève de son père et chef de village, Nda Ettien Edoukou, dès la fin des années 1980, avec seulement un brevet en poche, a depuis bien grandi. Il joue à présent dans la cour des grands et a appris à être prudent. Pris dans les luttes d’influence, ses prédécesseurs aimaient à lancer leurs militants dans la rue pour compter leurs forces et leurs soutiens. Ils multipliaient les déclarations tapageuses sur leur appartenance au Front populaire ivoirien (FPI) du président Gbagbo ou au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’opposition. Lui préfère botter en touche. « Mon parti s’appelle ÂÂÂCafé-cacaoÂÂÂ », tranche-t-il tout en témoignant sa reconnaissance au président ivoirien. Et en plus, Angoua Edoukou a de l’humour.

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