Un dîner chez Lino

Réunis dans un livre, les souvenirs d’enfance de Clélia Ventura fleurent bon les recettes que le « Tonton flingueur » aimait préparer pour ses amis.

Publié le 6 août 2003 Lecture : 3 minutes.

Certainement la plus gourmande des déclarations d’amour filial et le plus tendre des livres de cuisine. Dans Lino, tout simplement (Éd. Robert Laffont), Clélia Ventura raconte d’authentiques souvenirs d’enfance, assortis aux recettes de son acteur de papa, généreux Parmesan et formidable cuisinier. Comme le dit Guy Savoy, qui signe la préface, les recettes du « Tonton flingueur » lui ressemblent : perfectionnistes, parfois un peu brutales, démesurées aussi.
Une fois la journée de travail achevée, les « Silence, on tourne ! » se transformaient comme par enchantement en « Silence, on touille ! », dès le seuil de la maison franchi. Clélia décrit très joliment, avec en mémoire des odeurs de persillade, d’huile d’olive et de tomates fraîches, tous ces repas – mondains, de famille ou de copains – que Lino concoctait dès l’aube, « quand le chant des oiseaux était supplanté par un « doux » bruit de hachis ». On croise ainsi tous ceux qui aimaient tant se retrouver à la table de Montretout, le refuge familial : Michel Audiard, Jean Gabin, Georges Brassens, Jacques Brel, Jean Carmet, César, les Dabadie… En vacances, au Cap-Ferret ou en Anjou, Lino voulait toujours que sa robuste cuisine soit à son image, exigeante et ensoleillée : « Comment ne pas se souvenir de ces repas où papa, comblé de nous voir dévorer sa pasta i faglio, nous lançait un : « Décidément on se tient mieux à table qu’à cheval, dans cette famille » [le cheval était l’autre passion de Lino, NDLR]. » Et cette phrase, « Nettoie et range au fur et à mesure… », certes essentielle en cuisine, mais surtout tellement digne de cette « grande gueule » délicate, qui briquait lui-même ses baignoires d’hôtel pour l’épargner aux femmes de chambre.
Les recettes se succèdent avec, d’abord, de succulents antipasti, dont un caviar d’aubergines relevé d’une pointe de harissa, de goûteux coeurs d’artichauts violets confits à l’huile d’olive et aux herbes hachées ou une crème de foies aux oignons, proprement irrésistible. Évidemment, de grandioses recettes de pasta, dont les tagliatelles aux truffes qui régalèrent Jean-Claude Brialy, mais aussi de viandes et de poissons, admirablement choisis par le patron (tâtez du canard au chou rouge et de la morue « Lorena ») et de légumes sur l’assaisonnement desquels Lino se montrait intransigeant. Enfin, les desserts, avec une compote glacée aux fruits d’été pochés dans du vin rouge, dont Guy Savoy dit plaisamment que, « prévue pour six personnes, elle pouvait en nourrir abondamment dix-huit ! ».
Ce beau livre, nostalgique et joyeux à la fois, m’a rappelé un certain dîner chez les Ventura que m’a raconté une de mes meilleures amies, conviée, hélas ! à propos de problèmes à la Fondation Perce-Neige. Cette jeune femme, une couturière très connue qui habilla Brigitte Bardot de Vichy à carreaux, était toute menue et de petit appétit. Elle fut bien sûr placée à côté du « Gorille », qui se chargeait toujours de remplir les assiettes. Elle aimait les pâtes, se serait contentée d’une seule des louches de spaghettis aux palourdes que lui administra Lino, mais les termina cependant sous l’oeil implacable du chef. Aussitôt, il doubla la mise. Elle en vint très péniblement à bout, tandis que son mari riait sous cape à l’autre bout de la table. Lino entreprit alors de découper sa formidable côte de boeuf au gros sel, et la malheureuse, que je voyais grignoter un minuscule bout de poisson quand nous déjeunions ensemble, fit passer la viande si bien persillée d’une joue à l’autre, lorgnant son minuscule sac du soir pour tenter, en douce, le coup du doggy bag. Après les fromages, la blonde Odette Ventura, fine pâtissière, relaya son époux avec une tarte sublime : il ne fallait pas la décevoir. Mon amie sortit de cette épreuve en titubant : ce fut pour entendre Lino accompagner d’une claque sur l’épaule cette exclamation admirative : « Ça n’a l’air de rien un petit bout de femme comme ça, mais ça a un sacré coup de fourchette ! »

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