Traitement à distance

Lancée l’an dernier au Sénégal, la télé médecine représente un grand espoir pour les populations éloignées des centres de soins.

Publié le 6 août 2003 Lecture : 5 minutes.

Lorsque l’on pénètre dans l’enceinte de l’hôpital Aristide-Le-Dantec, à Dakar, après avoir franchi le marché « spontané » qui le ceinture, on ne peut que constater l’étendue des problèmes sanitaires auxquels le pays – à l’instar de l’ensemble du continent – est confronté. Les bâtiments centenaires sont délabrés, les capacités d’accueil largement insuffisantes, et l’hygiène parfois plus que douteuse.
Le plus ancien des hôpitaux d’Afrique occidentale est pourtant le premier établissement de la région à s’être lancé, voilà un an et demi, dans la grande aventure de la télémédecine. Cette pratique médicale, qui a pris son envol avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (voir encadré), permet d’acheminer des traitements sanitaires vers des personnes qui ne peuvent se déplacer ni se faire soigner sur place. Grâce à un équipement informatique adapté et une liaison de type filaire ou satellitaire, la télémédecine contribue à relier les populations rurales, éloignées des centres de soins, aux médecins, généralement installés dans les grandes villes. Son application offre de multiples avantages. Le premier d’entre eux est financier : la télémédecine entraîne, à terme, une diminution des coûts d’intervention. Dans de nombreux cas de téléconsultation, la présence auprès du malade d’un personnel soignant réduit à une simple personne est suffisante. Cette dernière bénéficie de l’assistance et du soutien des médecins de l’hôpital avec lesquels elle communique à distance.
Les domaines d’utilisation de cette pratique tournée vers l’avenir sont variés : radiologie, échographie, encéphalographie… Dans les régions rurales isolées où la vaccination reste encore un privilège réservé à des happy few (au Sénégal, le taux de vaccination dépasse rarement les 20 %), l’utilisation du satellite représente un bon moyen de détecter les foyers épidémiologiques et de suivre les pathologies infectieuses – comme le choléra, la méningite, et, bien sûr, le redoutable paludisme, qui, chaque année, cause la mort de milliers de personnes au Sénégal.
Dernier avantage, et non des moindres : la télémédecine permet de contourner certaines résistances culturelles, qui, bien souvent, contribuent à maintenir un taux de mortalité maternel élevé (environ cinquante fois plus élevé au Sénégal que dans les pays développés). Nombre de femmes refusent encore de se faire ausculter par des hommes, mais acceptent, en présence de sages-femmes, de se faire soigner par écran interposé.
Sous l’impulsion du Pr Cheikh Tidiane Touré, directeur du service chirurgical de l’hôpital Le-Dantec, un premier projet de télémédecine, opérationnel depuis janvier 2002, permet de mener des opérations vidéo-assistées. Les chirurgiens de l’établissement dakarois peuvent, lors de leurs interventions, être conseillés en temps réel par des confrères exerçant dans des établissements européens. Le projet permet également à des étudiants africains de bénéficier de cours « interactifs » et de sessions de télémentoring (formation pratique gestuelle à distance), assurés par des professeurs se trouvant à des milliers de kilomètres de Dakar. Ce « partenariat virtuel » regroupe, en plus de l’hôpital Le-Dantec, plusieurs établissements européens : le service de chirurgie digestive de l’hôpital de Toulouse, l’Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif de Strasbourg et le service de chirurgie digestive de l’hôpital Saint-Pierre de Bruxelles.
Soixante millions de F CFA (91 500 euros) ont été nécessaires à la mise en place du projet. La Mission française de coopération a fourni l’ensemble des équipements, relativement modestes : deux caméras, un vidéoprojecteur, un moniteur de télévision, un micro, une commande infrarouge et deux enceintes ont fait l’affaire. Les frais de raccordement et de connexion (représentant la moitié de l’investissement total) ont été pris en charge par le ministère de la Santé et de la Prévention. Avantage décisif dans la mise en route de ce projet, l’existence, au Sénégal, d’une liaison RNIS (réseau numérique à intégration de services, ou fibre optique).
Le projet est aujourd’hui opérationnel, mais, comme le souligne le Pr Touré, « la médecine sénégalaise ne compte pas s’arrêter en si bon chemin » : un maillage des différents hôpitaux du pays devrait bientôt voir le jour. Le réseau sénégalais de télémédecine espère intégrer le CHU de Fann, à Dakar, les hôpitaux de Saint-Louis, de Diourbel (qui, tous trois, seront équipés grâce à une contribution de l’Union internationale des télécommunications), ainsi que les établissements de Kolda et de Ziguinchor (dotés par l’État sénégalais) et enfin de Thiès (qui devrait s’équiper en fonds propres).
Second projet en cours, la téléconsultation devrait faciliter l’examen des malades à distance et ainsi progressivement « désenclaver » les régions isolées. Le principe est simple : un camion mobile sillonne les routes du pays afin d’aller à la rencontre du malade. À son bord : une station portable de taille réduite (elle tient dans une simple valise), équipée d’un ordinateur, d’un appareil photo numérique, d’un certain nombre d’« outils » classiques (brassard de tension, thermomètre, etc.) et, éventuellement, d’un matériel plus sophistiqué (échographe, radiographe ou microscope).
Un système de localisation GPS (Global Positioning System) permet à l’hôpital de localiser, en temps réel, le déplacement du véhicule. Sur place, le médecin – ou l’infirmier – collecte les données du patient qu’il envoie ensuite, par liaison filaire ou satellitaire, à l’hôpital où un diagnostic médical est ensuite établi puis renvoyé.
Les premières expériences de transmission d’images, portant sur une échographie et une consultation obstétricale, ont été réalisées en janvier 2002 depuis le poste de santé de Balla, dans la région de Tambacounda (à 600 km de la capitale sénégalaise). Les données ont été transmises par satellite jusqu’à une clinique dakaroise en passant par l’hôpital régional de Tambacounda. Des essais de transmission de données intégrales (sons et images) en temps réel sont aujourd’hui en cours.
Le financement de ce projet, coordonné par Vivane Wade, l’épouse du chef de l’État, et dont le coût s’élève à près de 4 milliards de F CFA (environ 6 millions d’euros), a été pris en charge par la Force d’intervention sanitaire satellitaire autoportée (Fissa), organisation non gouvernementale à but humanitaire, pour les liaisons par satellite, et le Centre national d’études spatiales (CNES), organisme public français, pour les stations portables. Les communications par satellite restent encore très onéreuses, mais le CNES s’est engagé à les prendre en charge pour les dix prochaines années.
Dans un pays où une grande partie de la population ne dispose toujours pas d’un accès aux soins de base, la télémédecine représente un grand espoir. Et pourrait permettre que « la médecine aille enfin vers le malade et non le malade vers la médecine », comme le souligne Ghislaine Alajouanine, présidente de la Fissa.

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